SANGATTE, France : Ils sont déterminés à ne pas céder devant l'Etat et ses règles d'aménagement du littoral : à Blériot-Plage (Pas-de-Calais), des irréductibles refusent la destruction de leurs "chalets", devenus pour certains des résidences secondaires miniatures pour revenus modestes.
Parfois sur trois rangées, quelque 230 chalets sur pilotis, tous différents, sont plantés sur cette longue plage de sable fin, face aux falaises anglaises.
"C'est un petit endroit simple, hyper-convivial", décrit Quentin Leman, vice-président de l'association engagée depuis 2016 contre la destruction de ces chalets, construits après-guerre, qui pourrait se concrétiser dès octobre.
"Je suis chalet" clame un panneau noir sur la porte-fenêtre de son chalet de 22 m2 avec terrasse, sous un drapeau pirate, devenu l'emblème de la lutte.
Une trentaine de propriétaires a refusé de signer le protocole de la préfecture leur demandant de vider les chalets avant le 15 septembre, d'accepter qu'ils soient "évacués du domaine public maritime" et de renoncer à tout recours envers l'Etat. Au risque de devoir payer eux-mêmes la destruction de leurs petits havres balnéaires, si la justice leur donne tort.
Une concession de plage en projet
Le décret plage de 2006, qui renforce la loi littoral de 1986, impose leur remplacement par des cabines démontables, dont la présence ne pourra excéder six mois par an.
Les propriétaires savent les chalets voués à disparaître depuis 2006, s'agace Guy Allemand, le maire de Sangatte, dont dépend Blériot-Plage. Depuis fin 2019, la préfecture n'a plus renouvelé leur autorisation temporaire d'occupation du domaine public, souligne-t-il.
"80% de la plage font partie de l'espace naturel remarquable que nous devons +renaturer+", complète l'adjoint chargé du littoral, Pascal Dubus.
Si les propriétaires ne toucheront aucun dédommagement, la mairie souligne la "démolition à coût zéro" et un accès prioritaire aux nouvelles cabines.
Car, dans un "esprit de continuité", assure-t-elle, la mairie a élaboré un projet de concession de plage, qui prévoit des cabines de 2,5 m sur 2,5 m, installées trois ou six mois, en location ou en acquisition, parmi d'autres aménagements, dont un bar de plage démontable.
Une redevance sur les anciens chalets rapportait à la commune 70.000 euros par an (20 euros le m2).
«Une PAD, une plage à défendre»
Malgré plusieurs décisions négatives quant à leur valeur patrimoniale, l'association considère les chalets comme inséparables de l'"identité calaisienne".
Elle décrit une sociabilité particulière, née entre familles ouvrières dans ces installations rudimentaires - à l'opposé de l'uniformité des nouvelles cabines - où elles passaient leurs seules vacances.
"On parle d'un ensemble qui a une valeur touristique, historique, culturelle, sociologique, esthétique, paysagère, environnementale, donc le décret perd de son sens", plaide son avocat, Me Théodore Catry. Il avance l'exemple des cabines de Noirmoutier - plus petites -, qui ont survécu au décret plage.
"On va abattre des chalets construits par des gens qui voulaient juste oublier la guerre, les privations" s'indigne Louis Chotteau, qui a hérité du chalet acquis par ses parents.
Les chalets perpétuent une histoire entamée "avec les congés payés en 1936", quand "des personnes du bassin minier et de la région lilloise se sont implantées" et les ont construits, puis agrandis, convient le maire.
Mais il se porte en faux contre un autre argument des opposants, selon lequel les chalets joueraient un rôle de "boucliers anti-submersion marine" et fixeraient le sable.
Leur association dénonce l'absence d'étude d'impact environnemental de leur destruction, non requise selon l'administration pour une remise à l'état naturel.
"Les chalets ne jouent pas un rôle de reconstitution de la dune, bien au contraire : les deux endroits où ils se trouvent sont ceux où elle n'a pas pu se reconstruire au fil des décennies", objecte l'élu.
Sollicitée par l'AFP, la préfecture n'a pas souhaité commenter le dossier.
Outre des manifestations tous les dimanche, les opposants ont attaqué devant le tribunal administratif la délibération du conseil municipal actant la démolition. Ils prévoient aussi d'attaquer toutes les contraventions dressées contre les propriétaires récalcitrants.
Convaincu que l'objectif de l'Etat est de "diminuer les possibilités pour les migrants de se cacher, comme quand ils rasent les forêts", le président de l'association, Loïc Lassalle, agite même le projet d'une "PAD, une plage à défendre".