BUCAREST, Roumanie : Créer une empreinte génétique pour chaque ours arpentant les Carpates: la Roumanie lance un recensement inédit qui pourrait faire d'eux une cible facile, redoutent les ONG, alors que la polémique sur la présence envahissante de ces bêtes fait rage.
Dans les prochains mois, "400 experts et volontaires se rendront sur le terrain pour prélever des échantillons" de crottes et poils en vue d'une analyse ADN, explique à l'AFP le ministre de l'Environnement Barna Tanczos.
Objectif de ce projet d'une "ampleur sans précédent", financé par Bruxelles à hauteur de 11 millions d'euros: "évaluer la taille de la population ursine".
Selon des estimations datant des années 1990, les forêts séculaires de ce pays abriteraient environ 6.000 ours bruns, soit le plus grand nombre d'Europe (hors Russie).
- Série d'attaques -
Mais les autorités jugent ce chiffre sous-évalué, face à l'afflux de plantigrades à la recherche de nourriture dans des villages de Transylvanie (centre).
La colère gronde devant des attaques qui se multiplient: une centaine ont été recensées ces trois dernières années.
Fin juillet, un berger a été grièvement blessé tandis qu'un deuxième, qui avait réussi à prendre la fuite, a été retrouvé mort à 300 m de là, présentant des traces de morsures et de coups de griffes.
Jusqu'à présent, on se contentait de recenser les marques laissées par des ours dans la neige ou la boue.
Désormais, le recueil des déjections et poils va permettre de constituer une base de données, dans laquelle chaque échantillon sera conservé, dûment estampillé d'un code-barres, selon le ministre.
Robin Rigg, président de la Slovak Wildlife Society, connaît bien cette procédure qu'il a utilisée pour décompter des loups.
Elle peut fournir un trésor d'informations, détaille l'expert irlandais, interrogé par l'AFP: le sexe de l'animal ou d'éventuels liens de parenté avec ses pairs.
L'important est de ratisser large et de "recueillir trois fois plus d'échantillons que le nombre escompté d'animaux", souligne Djuro Huber, professeur à l'Université de Zagreb (Croatie).
- Vers une reprise de la chasse ? -
Sans mettre en doute l'utilité de ce projet, qui prévoit également la création d'un premier sanctuaire public pour ours, les défenseurs des animaux craignent qu'il n'ouvre la voie à une reprise de la chasse si jamais il s'avère qu'il y a "trop" de plantigrades.
Cristian Papp, un responsable du Fonds mondial pour la nature (WWF), appelle ainsi à "la transparence dans la collecte et l'interprétation des données".
Déjà, un récent décret inquiète: désireux de calmer la population, le gouvernement, seul jusqu'alors à pouvoir autoriser l'abattage au cas par cas, a décidé de donner aux autorités locales droit de vie ou de mort sur un ours agressif.
La chasse sportive, qui attirait des amateurs du monde entier en quête d'un "trophée", est quant à elle interdite depuis 2016 pour protéger l'espèce, même si les ONG dénoncent parfois des violations, à l'image de ce prince du Liechtenstein accusé d'avoir tué en mars le "plus grand" des ours roumains, surnommé Arthur.
- "Villageois apeurés" -
"Au prétexte de leur dangerosité, se prépare un massacre contre ces animaux souvent affamés, victimes de l'exploitation forestière, de la réduction et destruction de leur habitat et d'une tentative de diabolisation par des groupes de chasseurs", s'est indignée la Fondation Brigitte Bardot devant la nouvelle ordonnance.
"Ces accusations sont infondées", réagit M. Tanczos.
"Un ours ne sera abattu que dans des situations critiques, s'il met en péril une vie humaine", assure-t-il, et un "déplacement" loin des habitations privilégié.
Pour Marton-Csaba Bacs, maire du village de Bixad (centre), "la situation est devenue intenable".
"Tous les jours, des ours saccagent des vergers, attaquent des moutons, ils sont même entrés dans la cour de la clinique", se plaint-il à l'AFP.
Dans le département voisin de Harghita, ils ont été aperçus sur un quai de gare ou même dans la cuisine d'un restaurant, selon les gendarmes, sollicités à 12 reprises au cours d'un seul week-end le mois dernier pour éloigner des ours se baladant dans des zones touristiques.
"Nous sommes ici dans la gueule de l'ours, les villageois sont apeurés", lance M. Bacs.
"Les relations entre l'homme et l'ours se sont dégradées", déplore le ministre. "Si l'Etat n'intervient pas, des gens désespérés risquent d'avoir recours à des solutions illégales".