MOSCOU : Préparée à l'arrivée des talibans, la Russie n'évacue pas ses diplomates d'Afghanistan avec l'objectif d'éviter une déstabilisation de sa zone d'influence en Asie centrale et la réimplantation d'un terrorisme international sur son flanc sud.
Lundi, au lendemain de la chute de Kaboul, l'ambassadeur russe Dmitri Jirnov était en contact avec les talibans dont il doit rencontrer le coordinateur pour la sécurité mardi.
"Ils nous ont une nouvelle fois garanti qu'ils ne toucheront pas à un cheveu d'un diplomate russe : +vous pouvez tranquillement travailler+", a-t-il raconté à la chaîne publique russe de télévision Rossïia-24.
Si Moscou a ces derniers jours souligné et moqué l'échec du rival américain après vingt ans de guerre en Afghanistan, l'essentiel n'est pas là. Pour les Russes, avant tout, il faut éviter que l'exemple taliban ne fasse des émules dans la région.
L'émissaire du Kremlin, Zamir Kaboulov, reconnaît avoir été surpris par la vitesse à laquelle le pouvoir afghan s'est écroulé, mais qu'il s'agissait désormais d'aller de l'avant.
"Ce n'est pas pour rien que depuis sept ans nous avons des contacts avec le mouvement taliban", disait-il lundi à la radio Echo de Moscou.
La mouvance talibane a beau être classée "terroriste" et interdite en Russie, ses représentants sont régulièrement reçus en interlocuteurs légitimes.
M. Kaboulov estime même que Moscou pourrait reconnaître un pouvoir taliban s'il se comporte de manière "responsable".
Sous-entendu qu'il ne s'efforce pas d'être de nouveau le parrain du jihadisme international et qu'il n'ait pas d'ambitions régionales.
"Nous allons regarder attentivement à quel point leur approche de la gouvernance du pays sera responsable", a résumé le diplomate russe, soulignant que tout dépendra des "agissements" des nouveaux maîtres de Kaboul.
La Russie souhaite voir émerger un pays "civilisé, libre du terrorisme et des drogues" et que "l'Afghanistan entretienne de bonnes relations avec tous les pays du monde", a ajouté l'ambassadeur Jirnov à la télévision publique.
"Les talibans nous ont déjà promis tout cela et nous espérons qu'ils vont remplir leurs promesses", a-t-il ajouté.
Nikolaï Bordiouja, l'ex-secrétaire général du Traité de l'Organisation du traité de sécurité collective, une alliance militaire régionale dominée par la Russie, résume les choses ainsi : "si nous voulons la paix en Asie centrale, il faut nous entendre avec les talibans".
Mais si Moscou s'exprime avec diplomatie et se souvient de son propre bourbier afghan qui a contribué à l'effondrement de l'URSS, il ne voudra pas voir Al-Qaïda ou le groupe Etat islamique disposer d'un refuge à sa porte.
Les Russes ont leur expérience du jihadisme dans le Caucase, soutenu par les talibans dans les années 1990-2000, et ont combattu l'EI pour le régime syrien ces dernières années.
"Bien sûr que (la Russie) ne fait pas confiance (aux talibans). Rien dans l'expérience de coopération avec les Afghans en général et les talibans en particulier n'inspire confiance", note Fiodor Lioukanov, le rédacteur en chef de la revue Russia in Global Affairs.
Face à l'avancée des islamistes afghans, la Russie a immédiatement organisé début août des manoeuvres militaires à la frontière afghane en Ouzbékistan et au Tadjikistan.
Parmi ces exercices, des scénarios d'incursion de groupes "terroristes" sur le territoire de ces ex-républiques soviétiques qui avaient été confrontées aussi dans les années 1990-2000 à des mouvements inspirés par les talibans.
Tachkent et Douchanbé avaient d'ailleurs mis à disposition des bases pour la coalition dirigée par les Etats-Unis en Afghanistan après les attentats du 11 septembre.
Pour des experts russes, la Russie va donc s'efforcer de resserrer les liens dans ce qu'elle considère comme son pré-carré.
"Compte-tenu de ce qui se passe en Afghanistan, Moscou va bien sûr renforcer sa coopération militaire en Asie centrale", prédit l'analyste Arkadi Doubnov.
Le Tadjikistan devrait en particulier voir la base militaire russe présente sur son territoire musclée. Moscou va aussi aider à renforcer la frontière.
"Et par rapport à il y a 20 ou 25 ans, les moyens de la Russie sont bien plus importants et je pense qu'elle se sent assez sûre d'elle-même", note Fiodor Loukianov.