WASHINGTON : Perruques colorées, tenues bariolées, un parcours et un profil hors normes: Kyrsten Sinema dénote vivement au Sénat américain. Mais c'est en fait par sa discrétion que la démocrate centriste, principale artisane de l'accord sur le gigantesque plan d'infrastructures voulu par Joe Biden, surprend.
Pas un mot, ou rarement, à la presse quand d'autres parlementaires s'arrêtent tous les jours devant les journalistes dans les couloirs du Capitole.
Première élue du Congrès à ne se réclamer d'aucune religion, la sénatrice de l'Arizona a passé en revanche de longues journées à défendre en coulisses cet accord rarissime entre démocrates et républicains.
Ce plan "historique" pour injecter 1200 milliards d'investissements dans les infrastructures défaillantes, "c'est ce qu'on obtient quand des élus mettent de côté leurs différences, font taire les bruits et les distractions, et se concentrent uniquement sur la recherche d'un terrain d'entente", a lancé la démocrate âgée de 45 ans.
En affirmant avoir choisi de "suivre l'exemple du défunt sénateur John McCain", un républicain qui, comme elle, représentait l'Arizona et refusait "de diaboliser l'opposition".
Tendre la main à l'autre parti, c'est sur des béquilles, à cause d'un pied cassé lors d'un marathon, que cette adepte de l'exigeante discipline de triathlon "Ironman" l'a fait ces derniers jours, sillonnant l'hémicycle entre républicains et démocrates lorsque ce texte né d'intenses mois de négociations se heurtait à des obstacles.
Son rôle clé lui a déjà valu un appel de Joe Biden en juin pour la "remercier" et même une invitation en solo à la Maison Blanche.
De quoi faire grincer l'aile gauche de son parti, qui reproche à cette centriste de faire obstacle à certaines de leurs plus grandes ambitions dans un Congrès aux majorités démocrates très fragiles.
Si un autre démocrate conservateur, le sénateur Joe Manchin, est aussi largement critiqué par les progressistes, Kyrsten Sinema s'attire un fiel particulier, une frustration d'autant plus grande que la sénatrice a débuté sa carrière bien plus à gauche.
Née en 1976 en Arizona, elle a connu une "enfance difficile" et sa famille se retrouve même un temps sans-abri. "Mais ils s'en sont sortis grâce à la famille, les paroissiens, et en travaillant durement", raconte son site officiel, en affirmant que son parcours reflète le "rêve américain".
Sur fond de protestations contre la guerre en Irak, la jeune femme commence sa carrière politique bien à gauche, proche des Verts, avant de rejoindre le parti démocrate au milieu des années 2000.
Elle entre au parlement de l'Arizona en 2005.
En 2012, elle est élue à la Chambre des représentants.
Dans un pays très croyant, elle devient aussi la seule parlementaire à ne se revendiquer d'aucune religion. Cette ancienne mormone, dans son enfance, ne veut pas pour autant être classée comme "athée".
En 2019, Kyrsten Sinema fait sa rentrée au Sénat. Lors de ces élections marquées par une diversité historique, elle reste discrète sur sa vie personnelle sans pour autant la cacher.
Avare en mots, la sénatrice livre en revanche de nombreuses images frappantes.
Comme lorsqu'elle se rend en 2020 au Sénat coiffée d'une perruque violette, sans donner d'explication. Une façon de montrer l'importance d'éviter les salons de coiffure en pleine pandémie, confie son entourage.
Ou qu'elle préside la séance dans le vénérable hémicycle vêtue d'un pull rose barré des mots "créature dangereuse".
Autre image qui fait cette fois enrager l'aile gauche: son pouce baissé pour signaler son opposition à l'inclusion de la hausse du salaire minimum dans un plan de relance économique.
La sénatrice n'est pas la seule démocrate à bloquer la mesure, mais elle le fait plus ouvertement.
Un mois plus tard, alors que les critiques à gauche continuent de pleuvoir, elle publie sur Instagram une photo d'elle portant une bague marquée d'une insulte appelant de façon très crue le destinataire à aller se faire voir.
Les progressistes le prennent pour eux.
"Un coup de poing à ceux" qui ont tout donné pour la faire élire, s'indigne une responsable du parti démocrate de l'Arizona, Brianna Westbrook.
Kyrsten Sinema, elle, ne répond pas.