PARIS: Le Conseil constitutionnel a validé jeudi le pass sanitaire, y compris pour les cafés-restaurants, mesure la plus emblématique mais aussi controversée de la nouvelle loi visant à contrer l'épidémie de Covid-19, retoquant en revanche l'isolement obligatoire des personnes contaminées.
Les Sages estiment que le pass sanitaire résulte d'une "conciliation équilibrée" entre libertés publiques et protection de la santé, dans une décision cruciale pour la mise en place prévue lundi de ce dispositif par le gouvernement. Les juges constitutionnels estiment en revanche que l'isolement obligatoire des malades pour une période de dix jours n'était pas "nécessaire, adapté" ou "proportionné".
Ils recalent également les dispositions concernant la rupture de contrat des salariés en CDD qui ne présenteraient pas le pass si leur activité le requiert, estimant qu'il y avait une "différence de traitement" avec les personnes en CDI, qui ne peuvent être licenciées pour ce motif.
Le pass -certificat de vaccination, test négatif ou attestation de rétablissement-, contesté par plusieurs formations politiques allant de LFI au RN en passant par le PS, est aussi vivement dénoncé dans la rue par des manifestations qui se succèdent depuis un mois tous les samedi. La dernière a réuni quelque 200 000 personnes, et des appels ont déjà été lancés pour samedi prochain à travers la France.
Mais aucune des objections -atteinte "disproportionnée" aux libertés, problèmes des contrôles confiés à des serveurs de restaurant ou des contrôleurs de la SNCF par exemple, "obligation vaccinale déguisée" etc. - n'ont été retenues.
Le Conseil ne trouve également rien à redire à l'obligation vaccinale pour les soignants et d'autres professions en contact avec des personnes à risque. Il le valide aussi pour les visiteurs ou les patients non urgents dans les établissements de santé et maisons de retraite tant que ce dernier ne fait pas "obstacle à l'accès au soins".
La possibilité pour les préfets de soumettre l'accès de certains centres commerciaux au pass sanitaire est également validée de façon "proportionnée". Le pass sanitaire est déjà entré en vigueur en juillet dans les "lieux de loisirs et de culture" rassemblant plus de 50 personnes.
Avec la nouvelle loi, il doit être étendu aux cafés, restaurants, foires et salons professionnels, ainsi qu'aux avions, trains, cars longs trajets et aux établissements médicaux sauf urgence. Les jeunes entre 12 et 17 ans en sont exemptés jusqu'au 30 septembre.
L'institution garante du respect de la Constitution et des droits fondamentaux avait été saisie par le gouvernement et trois groupes de parlementaires, après l'adoption du texte par députés et sénateurs le 25 juillet au terme de six jours de débats houleux.
«Personne ne sera privé de soins»
AIX-EN-PROVENCE : Le ministre de la Santé Olivier Véran a souligné jeudi que "personne ne sera privé de soins en fonction du pass sanitaire", lors d'une visite au centre hospitalier d'Aix-en-Provence. "Jamais nous n'arrêterons de soigner qui ce soit", a insisté le ministre lors d'une rencontre avec les soignants, juste avant que le Conseil constitutionnel ne valide la loi instaurant le pass sanitaire et la vaccination obligatoire des soignants.
"Nous voulons faire un sanctuaire comme dans les Ehpad (...), que par tous les moyens le virus ne puisse pas rentrer", a poursuivi le ministre alors que les opposants au pass sanitaire et au vaccin manifestent depuis plusieurs semaines dans toute la France. M. Véran a souligné le nouveau profil des malades du Covid-19: "en réanimation nous trouvons des gens qui sont un peu plus jeunes que lors des vagues précédentes, puisque les personnes très âgées sont massivement vaccinées". On y trouve "pour la quasi-exclusivité des patients pas vaccinés, on voit aussi des gens qui s'aggravent plus vite que lors de précédentes vagues", un effet "sans doute" du variant Delta, a-t-il relevé.
«Refus de soin»
Le 31 mai, le Conseil constitutionnel avait déjà approuvé le principe du pass sanitaire mais le dispositif était alors limité aux grands rassemblements comme les festivals. Avant la décision des Sages, l'Elysée s'était dit "pas inquiet" pour un texte "équilibré", alors que la "dynamique" est "bonne", "avec la campagne de vaccination qui suit son cours" et "les appels forts du président" aux jeunes sur les réseaux TikTok et Instagram à se faire vacciner.
Idem à Matignon, où l'entourage du Premier ministre Jean Castex estimait qu'il n'y aurait pas de blocage sur les "grands principes", même s'il pouvait y avoir des "remarques" sur des question de "mise en oeuvre ou de périmètre d'application". En attendant le verdict du Conseil constitutionnel, plusieurs dizaines de manifestants se sont rassemblés jeudi en fin de matinée devant le siège de l'institution.
Latifa, retraitée de la fonction territoriale installée dans une chaise de camping, s'est indignée qu'avec le pass le président Macron "touche à mon libre arbitre". Sophie Tissier, gilet jaune membre du collectif "Paris pour la liberté", assure qu'"on n'est pas anti-vaccins, mais anti-vaccin Covid”.
Mercredi soir à Toulouse, plusieurs dizaines de personnes, parmi lesquelles quelques "gilets jaunes" et blouses blanches, ont manifesté pour défendre leur "liberté".
«Responsabilité»
Selon un sondage Elabe pour l'Institut Montaigne, Radio Classique et le journal Les Echos diffusé mercredi, 48% des Français désapprouvent les manifestations contre le pass, 37% les soutiennent et 15% sont indifférents.
Une majorité (autour de 60%) se déclare également disposée à le présenter s'il est demandé, et se dit favorable à la vaccination obligatoire. Dans la classe politique, le porte-parole du Rassemblement national Julien Odoul a de nouveau fustigé jeudi un dispositif qui "heurte de manière disproportionnée, et brutale même, nos libertés fondamentales".
A gauche, Valérie Rabault, cheffe des députés socialistes, qui ont avec leurs collègues PCF et LFI déposé un des recours, préférerait la "vaccination obligatoire pour tous les adultes" à un pass par lequel le gouvernement rejette la "responsabilité" des contrôles sur les salariés des restaurants ou des lieux culturels.
La décision du Conseil constitutionnel intervient en pleine nouvelle vague de l'épidémie, avec 8.134 patients dans les hôpitaux français mercredi dont 1.371 en soins critiques. Près de 54% de la population dispose d'un schéma vaccinal complet.