PARIS: Trois ans après le début de l'enquête sur les comptes de campagne 2017 de Jean-Luc Mélenchon, les premières mises en examen ont été prononcées au printemps, ne concernant à ce stade qu'un possible "prêt illicite de main d'œuvre", loin des soupçons d'escroquerie et de surfacturations évoqués au début de l'affaire.
L'association l'Ère du peuple, fondée en 2015 par des proches du leader de la France Insoumise, et la mandataire financière du candidat, Marie-Pierre Oprandi, ont été mis en examen les 29 mars et 29 avril, selon des sources proches du dossier, confirmées de source judiciaire.
Mme Oprandi est également poursuivie pour "usage de faux".
Mais le juge d'instruction a renoncé à ce stade aux poursuites sur les principaux volets de l'enquête, lancée en 2018 pour examiner des soupçons d'"escroquerie aggravée", d'"abus de confiance" ou de "financement illégal de campagne". Pour ces infractions, l'association et la mandataire sont sous le statut intermédiaire de témoin assisté.
Manuel Bompard, l'ex-directeur de cette campagne, s'est réjoui que "le dossier accouche d'une souris" après un "acharnement judiciaire hors du commun".
Cette mise en examen à minima enlève une épine dans le pied des Insoumis qui, tout en se montrant confiants ces derniers mois, craignaient que l'affaire n'éclabousse leur candidat à la présidentielle 2022.
Plusieurs sondeurs ont documenté "une rupture d'image" chez les électeurs après sa colère lors de la perquisition houleuse dans les locaux parisiens du mouvement en 2018, qui lui a valu une condamnation pour "rébellion" en 2019.
L'enquête sur les dépenses de campagne était partie d'un signalement à la justice de la Commission nationale des comptes de campagne (CNCCFP), chargée de valider le remboursement des dépenses des candidats avec les deniers publics. Celle-ci soupçonnait des surfacturations de l'Ère du peuple et de Mediascop, la société de conseil en communication de Sophia Chikirou, une proche de M. Mélenchon.
L'Ère du peuple, créée en 2015 pour fournir un "support technique et logistique" à la diffusion des "idées de Jean-Luc Mélenchon", avait facturé 440 027 euros au candidat: locations de salles, matériel informatique et prestations intellectuelles de ses quatre salariés.
Mais le magistrat estime que le travail de ces employés pourrait constituer un "prêt illicite de main d'œuvre".
«Prix du marché»
Ce délit correspond à l'interdiction, dans le Code du travail, de nouer un contrat visant exclusivement à prêter du personnel dans un but lucratif. Il est puni au maximum de deux ans de prison et d'une amende de 30 000 euros, portée à 150 000 euros pour une personne morale.
La CNCCFP avait relevé une différence entre les salaires versés par l'association et les montants facturés au mandataire, pour un total de 152 688 euros. La marge commerciale ainsi réalisée par l'Ère du peuple avait été invalidée par la Commission et non remboursée.
La défense rétorque qu'elle était "tenue par le code électoral de suivre les prix du marché", ceux des agences d'intérim, et qu'à défaut elle aurait pu être "accusée de don déguisé". La même pratique a d'ailleurs été validée par la CNCCFP pour les législatives 2017, fait-on valoir.
Pour le juge d'instruction, les salariés de l'association, dont trois étaient en même temps membres de l'équipe de campagne, auraient dû être rémunérés par le candidat ou le parti.
Au moins deux d'entre eux, les désormais députés LFI Mathilde Panot et Bastien Lachaud, ont été entendus en juillet 2019 à Nanterre par les policiers de l'office anticorruption (OCLCIFF) et sont susceptibles d'être convoqués par le juge d'instruction.
Finalement, la CNCCFP avait validé les dépenses du candidat, après avoir retranché 434 939 euros sur 10,7 millions déclarées. Mais ce contrôle des comptes avait été marqué par un vif désaccord interne, ayant provoqué fin 2017 la démission de Guy de Chalvron, un des deux rapporteurs chargés du dossier de M. Mélenchon.
M. de Chalvron avait dénoncé dans les médias des "irrégularités". Poursuivi en diffamation par M. Mélenchon, il a été relaxé en avril au bénéfice de la bonne foi.
Initiées par le parquet de Paris, les deux procédures visant LFI avaient été confiées le 8 novembre 2018 à des juges d'instruction.