PARIS : Protéger le travail des journalistes menacés en poursuivant leurs enquêtes: c'est l'ambition de la plateforme Forbidden Stories ("Histoires interdites"), qui a coordonné la vaste enquête de 17 médias internationaux sur le logiciel israélien d'espionnage Pegasus.
Lancé en 2017 sur une idée du documentariste français Laurent Richard, avec le soutien de l'ONG Reporters sans frontières, ce réseau de journalistes d'investigation du monde entier a frappé un grand coup dimanche avec le "projet Pegasus".
"C'est sans doute l'affaire de cyberespionnage la plus importante depuis l'affaire Snowden", résume la cellule investigation de Radio France, qui a participé à l'enquête.
Sous la houlette de Forbidden Stories, et avec l'appui technique du Security Lab de l'ONG Amnesty International, un consortium de dix-sept médias internationaux --dont Le Monde, The Guardian et The Washington Post-- s'est penché sur le logiciel-espion de la société israélienne NSO Group, qui permet de récupérer les contenus des smartphones infectés.
Ce n'est pas le premier fait d'armes de la plateforme, "association à but non-lucratif basée en France et enregistrée sous le nom de Freedom Voices Network", qui dépend du "soutien financier d'organismes philanthropiques" et de "dons du public".
Elle s'est donnée pour mission de "poursuivre et de publier le travail" de confrères "menacés, emprisonnés ou (qui) ont été assassinés", comme elle l'explique sur son site internet.
Premier-né de cette démarche, le "projet Daphne" a ainsi été lancé après l'assassinat de la journaliste et blogueuse anticorruption maltaise Daphne Caruana Galizia, tuée le 16 octobre 2017, à 53 ans, dans l'explosion de sa voiture piégée.
Pendant six mois, 45 journalistes provenant de 18 médias de par le monde ont travaillé ensemble en reprenant l'énorme masse de documents laissée par leur consoeur, dévoilant par exemple les coulisses du business des passeports maltais.
Depuis son lancement, "60 médias et plus d'une centaine de journalistes –-originaires de 38 pays différents et des cinq continents-–" ont ainsi participé aux enquêtes collaboratives de la plateforme. Tels les projets "cartel", sur les cartels de la drogue mexicains et "Green Blood" (sang vert) "sur les dommages environnementaux et autres abus de compagnies minières" en Inde, en Tanzanie et au Guatemala.
Freedom Stories propose plus généralement aux reporters qui le souhaitent de "protéger leurs informations sensibles" en s'appuyant sur ses moyens de communication chiffrés.
Elle promet en retour d'assurer "la survie" de leurs "histoires par-delà les frontières, par-delà les gouvernements, par-delà la censure" dans le cas où quelque chose leur arriverait.
Objectif ? "S'assurer qu'un maximum de personnes a accès à une information non-censurée" sur l'environnement, la santé, les droits de l'Homme ou la corruption, tout en dissuadant les assassins d'agir.
"Ils ont tué le messager. Ils ne tueront pas le message", résume Forbidden Stories dont le créateur, Laurent Richard, voulait proposer une "réponse journalistique aux crimes commis contre la presse" depuis l'attentat de 2015 contre Charlie Hebdo. Alors rédacteur en chef de l'agence Premières Lignes, voisine de Charlie Hebdo, il était entré dans les locaux du journal peu après la fusillade.