PARIS : Le gendarme français de la concurrence est passé mardi des injonctions aux sanctions contre Google, qui va devoir payer 500 millions d'euros d'amende sur le dossier des droits voisins, dans la première décision prononcée par une autorité de régulation sur ce sujet en Europe.
L'Autorité de la concurrence reproche au géant de l'internet ne pas avoir négocié « de bonne foi » avec les éditeurs de presse sur l'application des droits voisins, la rémunération due aux éditeurs pour la reprise de leurs contenus.
Elle a par ailleurs ordonné à Google de « présenter une offre de rémunération pour les utilisations actuelles de leurs contenus protégés » aux éditeurs et agences de presse, sous peine de se voir infliger des astreintes qui pourront aller jusqu'à 900 000 euros par jour au total.
« C'est la plus forte amende » jamais infligée par l'Autorité de la concurrence pour un non-respect d'une de ses décisions, a indiqué sa présidente, Isabelle De Silva, en présentant la décision à la presse.
Ce n'est toutefois pas la plus forte amende toutes décisions confondues prononcée par l'Autorité, qui avait condamné Apple à payer 1,1 milliard de dollars en mars 2020 pour "abus de dépendance économique" envers ses revendeurs.
« Nous avons voulu marquer la gravité » des manquements de Google à ses obligations, a justifié Mme De Silva. Google ne « semble toujours pas accepter la loi » créant les droits voisins, or « il n'appartient pas à un opérateur de refuser la loi ».
L'entreprise américaine s'est dite « très déçue » par cette décision. « Nous avons agi de bonne foi pendant toute la période des négociations. Cette amende ne reflète pas les efforts mis en place, ni la réalité de l'utilisation des contenus d'actualité sur notre plateforme », a déclaré un porte-parole dans une réaction transmise à l'AFP.
« Stratégie délibérée et systématique »
Mais pour l'Autorité, le comportement de Google a relevé « d'une stratégie délibérée, élaborée et systématique de non-respect » de l'injonction de la négociation de bonne foi.
La décision était très attendue car c'est la première décision prise par une autorité de régulation sur les droits voisins à la suite d'une législation européenne mise en place en 2019 et que la France a été la première à transposer.
Le conflit entre Google et les éditeurs de presse français concerne les droits que doit verser Google pour les contenus de presse – extraits d'articles, photos, vidéos, infographies... – qui apparaissent dans les pages de résultats lors d'une recherche de l'internaute.
Le moteur de recherche avait d'abord refusé de rémunérer les éditeurs, les estimant suffisamment rétribués par le trafic qu'il envoyait sur leurs sites.
Saisie par les éditeurs de presse - Syndicat des éditeurs de presse de la presse magazine, Alliance de la presse d'information générale, l'AFP -, l'Autorité avait imposé en avril 2020 des « mesures d'urgence » à Google, soit une obligation de négocier « de bonne foi » une rémunération avec les éditeurs de presse.
Mais ces derniers et l'AFP avaient saisi l'Autorité de la concurrence en septembre 2020, estimant que Google ne respectait pas ses obligations.
Nouvelle posture
Le géant américain a toutefois changé de posture depuis le début de l'affaire et n'affiche plus une hostilité radicale aux droits voisins.
Mi-janvier 2021, l'Alliance de la presse d'information générale (Apig, qui représente notamment les quotidiens nationaux et régionaux) et Google ont annoncé un accord-cadre qui ouvre la voie à une rémunération des journaux.
Google et l'Agence France-Presse sont en outre « proches d'aboutir à un accord », ont indiqué mardi le PDG de l'AFP Fabrice Fries et le directeur général de Google France Sébastien Missoffe.
Pierre Louette, patron du groupe Le Parisien Les Echos et président de l'Apig, a indiqué à l'AFP que l'alliance allait « forcément réexaminer » l'accord-cadre qu'elle avait signé avec Google à la lumière de la décision prise par l'Autorité. « Nous chercherons très probablement à en adapter certains aspects », a-t-il ajouté.
L'accord en discussion entre Google et l'AFP porte « sur une licence globale pour l'utilisation de différents contenus de l'AFP » dans les produits de Google ainsi que « la rémunération au titre du droit voisin pour les publications de presse de l'AFP », a précisé M. Missoffe.
Le PDG de l'AFP de son côté s'est félicité d'une décision « sans ambiguïté » sur l'éligibilité des agences de presse aux droits voisins.
« Elle dit clairement que les contenus des agences sont en eux-mêmes couverts par le droit voisin et donc à ce titre doivent être l'objet d'une rémunération. Et elle confirme que les contenus de presse publiés par l'AFP et repris par les éditeurs doivent faire l'objet d'une rémunération spécifique », a ajouté M. Fries. « La main de l'Autorité n'a pas tremblé », a-t-il indiqué.
Le syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM), s'est « vivement » félicité « de la décision historique de l’Autorité de la concurrence concernant le droit voisin », dans un communiqué.
La décision de l'Autorité de la concurrence est éventuellement susceptible d'appel devant la cour d'appel de Paris. Google n'était pas en mesure d'indiquer mardi s'il comptait engager un recours ou non.
Le 7 juin, une décision du gendarme français dans un autre domaine, la publicité en ligne – avec une amende de 220 millions d'euros à la clef – a amené Google à réformer à l'échelle mondiale un certain nombre de ses pratiques.