RIO DE JANEIRO: Des sénateurs brésiliens ont demandé lundi l'ouverture d'une enquête contre le président Jair Bolsonaro, accusé d'avoir fermé les yeux sur des soupçons d'irrégularités dans l'achat de vaccins anti-Covid, un scandale aux conséquences potentiellement explosives.
La demande d'ouverture d'enquête a été déposée à la Cour suprême par trois sénateurs, une procédure qui pourrait entraîner la destitution du chef de l'État, même si ce scénario est jugé peu probable par les analystes.
Mais le scandale pourrait causer des dégâts politiques considérables pour un président d'extrême droite élu en promettant d'éradiquer la corruption, et dont l'image a déjà été fortement ternie par sa gestion chaotique de la crise sanitaire qui a fait plus d'un demi-million de morts au Brésil.
"J'ai déposé une demande d'ouverture d'enquête à la Cour suprême à cause de la grave dénonciation selon laquelle le président de la République n'a pris aucune mesure après avoir été prévenu d'un gigantesque réseau de corruption au sein du ministère de la Santé", a déclaré dans une vidéo Randolfe Rodrigues, le vice-président d'une commission d'enquête du Sénat (CPI) sur les "omissions" du gouvernement Bolsonaro durant la pandémie.
"La prévarication est un délit prévu par le code pénal", a-t-il rappelé.
Cette demande repose sur le témoignage vendredi d'un fonctionnaire du ministère de la Santé et de son frère député qui ont fait l'effet d'une bombe lors d'une audience devant cette commission.
Ce fonctionnaire, Luis Ricardo Miranda, responsable des importations médicales au ministère, a vu atterrir le 18 mars sur son bureau une facture suspecte de 45 millions de dollars pour trois millions de doses du vaccin Covaxin du laboratoire indien Bharat Biotech.
Un faisceau de signaux intrigants alerte alors M. Miranda qui refuse d'autoriser le paiement. Aucun vaccin n'avait été livré et le Covaxin n'avait pas reçu l'homologation des autorités sanitaires.
De plus, le contrat, d'un montant total de 300 millions de dollars, ne mentionnait nulle part Madison Biotech, la firme singapourienne qui avait envoyé la facture et semblait être une société-écran.
Une transaction d'autant plus étonnante que le président avait par le passé rejeté des offres de vaccins moins chers et plus efficaces.
Selon le journal O Estado de S.Paulo, Bharat Biotech avait initialement proposé le vaccin à 1,34 dollar par dose. Mais le Brésil a accepté de payer 15 dollars, soit plus que pour tout autre vaccin qu'il n'ait jamais acheté.
«Grosse bombe»
M. Miranda raconte alors avoir reçu des appels de ses supérieurs exerçant sur lui ce qu'il a qualifié de pression "atypique et excessive" pour approuver la transaction.
D'autres irrégularités dans l'accord entre le Brésil et Covaxin faisant surface, le gouvernement a fini par annuler le contrat.
M. Miranda avait immédiatement fait part de ses inquiétudes à son frère, le député Luis Miranda, un partisan de Jair Bolsonaro. Ils auraient alors rencontré le président le 20 mars à Brasilia.
Selon les déclarations des frères devant la CPI, le président leur a assuré qu'il transmettrait l'affaire à la police fédérale. Ce qu'il n'a apparemment jamais fait et a amené les sénateurs à demander lundi l'ouverture d'une enquête.
L'opposition, quant à elle, a appelé à des manifestations mercredi et samedi pour demander la destitution du chef de l'État.
Selon le député Luis Miranda, lors de cette rencontre, M. Bolsonaro a exprimé son inquiétude quant à l'impact politique de l'affaire et a fait part de ses soupçons sur un potentiel responsable, Ricardo Barros, ancien ministre de la Santé.
M. Barros a nié toute malversation, tout comme le président Bolsonaro, arguant que le contrat a finalement été annulé et accusant les frères Miranda de mener une campagne de dénigrement à son encontre.
"C'est la première grosse bombe" révélée après deux mois d'enquête de la CPI, a estimé Geraldo Monteiro, politologue à l'Université de Rio.
Le problème le plus immédiat pour le président, dont la popularité est en forte baisse, est le cas Barros. S'il le protège, M. Bolsonaro ruinera son programme anti-corruption qui lui a permis de remporter la présidence en 2018.
S'il l'abandonne, il risque de rompre son alliance avec le "Centrao", groupe hétérogène de partis conservateurs qui lui a notamment permis d'empêcher la progression parlementaire de plus de 100 pétitions de destitution contre lui.