CASABLANCA: L’étau se resserre-t-il contre le gouvernement de Pedro Sánchez? Depuis le déclenchement de la crise diplomatique avec le Maroc, le 18 avril 2021, en raison de l’accueil sur le sol espagnol du chef du Front Polisario, Brahim Ghali, à l’aide de faux papiers, le gouvernement espagnol est sous les feux de critiques internes. Les partis de l’opposition, la société civile, des membres du gouvernement et jusqu’aux institutions souveraines ont tiré à boulets rouges sur le gouvernement et sa gestion «catastrophique» de cette crise avec le Maroc. La ministre des Affaires étrangères, de l'Union européenne et de la Coopération, Arancha González Laya, est la principale cible de cette salve de critiques; elle se trouverait d’ailleurs sur la sellette.
L’armée de l’air est également intervenue dans cette crise. Le général José Luis Ortiz Cañabate, chef de la base de Saragosse, a reconnu devant le juge d’instruction de cette ville, Rafael Lasala, que c’était le ministère espagnol des Affaires étrangères qui avait demandé à l’armée de l’air d’autoriser, le 18 avril 2021, l’atterrissage d’un avion sur la base aérienne de Saragosse sans fournir d’informations; cette manœuvre était destinée à faire entrer Brahim Ghali, le chef du mouvement du Front Polisario, sur le territoire espagnol en vue de son hospitalisation à l’hôpital de Logroño, sans qu’aucun contrôle douanier n’ait lieu. Brahim Ghali est pourtant poursuivi en Espagne pour crimes de guerre, viol, meurtres et séquestrations, entre autres – des faits qu’il aurait commis à Tindouf (en Algérie, NDLR).
Une perte de plus d’1,5 milliard d’euros pour les ports espagnols
Rappelons que cet acte avait provoqué la colère du voisin marocain, qui a riposté en ouvrant les vannes de ses frontières terrestres avec Ceuta, engendrant une marée de migrants de plus de 10 000 personnes en deux jours. S’en est suivie de part et d’autre une série de ripostes dans laquelle le Maroc serait, à l’heure actuelle, en bonne posture. Après avoir joué la carte de l’immigration clandestine, le Maroc a exclu l’Espagne de l’opération baptisée «Marhaba 2021», un dispositif destiné à accompagner les flux croissants des Marocains qui résident à l'étranger lors de leur retour au Maroc pendant la période estivale. Cette opération concerne plus de 3,5 millions de Marocains établis en Europe; la majorité d’entre eux passent par les ports espagnols pour regagner le Maroc.
Cette exclusion a eu un énorme impact sur certaines villes et certains ports espagnols. Un manque à gagner estimé à plus d’1,5 milliard d’euros, selon le quotidien espagnol La Razó – et qui pourrait être beaucoup plus important, estiment des professionnels du secteur portuaire en Espagne. La compagnie de transport maritime FRS a ainsi évalué les pertes, qui correspondent aux ventes de billets lors de l’opération Marhaba, à plus de 500 millions d’euros. Certaines villes, comme Mortil, vivent principalement grâce à cette opération: l’activité portuaire, les voyagistes, les stations-services, les hôteliers, les agences de locations de voitures et les commerces génèrent d’importants revenus. Mortil perdra 20 millions d’euros au bas mot cette année. Les ports espagnols qui seront le plus fortement affectés sont Algésiras, Tarifa, Almeria, Alicante, Mortil, Malaga, Ceuta et Melilla.
Le port d’Algésiras quasi désertique
Alors qu’il jouissait d’une intense animation pendant cette période, le port d’Algésiras est actuellement quasi désertique. C’est celui qui sera le plus touché, avec 11 millions d’euros de manque à gagner et 300 emplois menacés. Manuel Piedra, président d'Aesba (Association des entrepreneurs des services portuaires d'Algésiras), explique à l’agence de presse espagnole EFE que cette exclusion engendrera une perte de plusieurs millions d’euros dans plusieurs secteurs économiques qui avaient besoin de cette manne financière en cette période de crise sanitaire liée à la Covid-19. Les opérateurs des secteurs sinistrés ont appelé le gouvernement à trouver des solutions urgentes pour faire face à cette situation inédite qui entraînera des licenciements de masse dans plusieurs villes et qui aggravera la crise sociale en Espagne.
Cet avis est partagé par Vox, le parti d’extrême droite espagnol. Ce mouvement d’opposition a en effet profité de cette crise pour attaquer le gouvernement, qu’il considère incompétent et qu’il juge responsable d’avoir géré avec le plus grand amateurisme une crise diplomatique qui aurait pu être évitée si l’entêtement et le manque d’expérience de la ministre des Affaires étrangères espagnole n’avaient fait leur œuvre. En outre, le parti a qualifié d’«humiliante» la rencontre de vingt-neuf secondes entre le chef du gouvernement espagnol et le président américain, Joe Biden, pendant laquelle Pedro Sánchez devait évoquer la crise avec le Maroc. Une rencontre que Pedro Sánchez aurait survendue et qui s’est soldée par une humiliation cuisante, estime le parti Vox.
Le Parlement arabe soutient le Maroc
De même, le recours de l’Espagne devant le Parlement européen n’a pas eu l’effet escompté. L’institution avait émis une résolution contre le Maroc, notamment par rapport à l’exploitation d’enfants dans la crise migratoire avec Ceuta; mais, pour un bon nombre d’observateurs, cette résolution n’aurait pas grande valeur. En revanche, le recours a fait réagir le Parlement arabe, qui a émis, le samedi 26 juin 2021 au Caire, une résolution de soutien au Maroc et qui s’est montré très virulent à l’égard de l’Espagne et du Parlement européen. Il a ainsi exprimé son rejet catégorique de «l’approche arrogante inacceptable du Parlement européen dans le traitement des questions liées aux pays arabes», l’institution ayant adopté «des résolutions qui s’inscrivent aux antipodes des exigences du partenariat stratégique souhaité entre les pays arabes et européens». La crise entre le Maroc et l’Espagne va-t-elle devenir une crise arabo-européenne?
Les Américains mettent en garde les Espagnols contre des risques sécuritaires
Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que le gouvernement espagnol se trouve actuellement dans une impasse et que sa gestion de la crise s’est révélée un véritable fiasco. Résultat: le gouvernement espagnol a changé de ton et tente par tous les moyens de rétablir ses relations avec le Maroc. L’appel de Madrid, tel un drapeau blanc agité en période de guerre, représente-t-il une prochaine victoire diplomatique du Maroc contre son voisin ibérique et contre l’Europe – qui n’a d’ailleurs pas manqué de rappeler le rôle stratégique du Maroc dans plusieurs sujets sensibles? Le Royaume chérifien demeure en effet l’un des fournisseurs traditionnels et stratégiques des pays européens en matière de renseignements sur d’éventuels attentats terroristes.
Grâce à l’infiltration de réseaux terroristes, en Europe notamment, les services de renseignement marocains ont permis à plusieurs pays européens, notamment à l’Espagne et à la France, tout récemment, d’éviter de véritables bains de sang. Un rôle que rappelle le département américain de la sécurité, qui a mis en garde les Espagnols contre les risques sécuritaires qu’ils encourent si la crise avec le Maroc devait perdurer. Le niveau d'alerte du dispositif espagnol de lutte contre le terrorisme vient de passer à l’orange – un niveau qui signale un danger de sécurité imminent en Espagne.