DUBAÏ : L'Iran aurait tenté sans succès de lancer une fusée chargée d’un satellite au cours des derniers jours, et semble être prête à réessayer, un effort de plus de la part du pays pour faire avancer son programme spatial au milieu de tensions avec l'Occident au sujet de son accord nucléaire chancelant.
Des images satellites, un responsable américain et un expert en fusées ont tous confirmé l'échec du lancement en juin, à la base spatiale Imam Khomeini dans la province iranienne de Semnan.
La tentative survient alors que le programme spatial de l'Iran a subi une série de pertes de taille. La garde révolutionnaire paramilitaire gère son propre programme parallèle qui a lancé un satellite en orbite l'année dernière.
Comme pour d'autres lancements ratés, les médias d'État iraniens n'ont pas reconnu que cela avait eu lieu. La mission iranienne auprès des Nations Unies n'a pas immédiatement répondu à une demande de commentaires tôt mercredi.
Des images satellites de Planet Labs Inc. et de Maxar Technologies montrent les préparatifs à la base spatiale le 6 juin. On y voit ce qui semble être des réservoirs de carburant à côté d'un énorme portique blanc qui abrite une fusée, tandis que les scientifiques l'alimentent et se préparent pour le lancement.
Avant le lancement, les ouvriers remorquent le portique et dégagent la fusée.
Les réservoirs de carburant, à en juger par leur taille, semblent avoir suffi pour remplir les deux premiers niveaux de la fusée iranienne Simorgh, a révélé Jeffrey Lewis, expert au Centre d'études sur la non-prolifération James Martin à l'Institut d'études internationales de Middlebury.
Le Simorgh est une fusée porteuse de satellites qui a été lancée depuis cette même zone de la base spatiale, a-t-il ajouté.
Des images satellites ultérieures du 17 juin montrent une diminution de l'activité sur le site. Les analystes pensent que l'Iran avait lancé la fusée à un moment donné dans ce créneau, selon Lewis.
«Il n’y a pas eu d’explosion. Il n'y avait pas de tache géante, comme s'ils avaient jeté le carburant, et les véhicules s'étaient en quelque sorte déplacés », a assuré Lewis. «Le niveau global d'activité sur le site était beaucoup plus faible. Donc, à notre avis, cela ressemblait à un lancement», estime-t-il.
CNN, qui avait couvert l'échec du lancement, a cité le porte-parole du Pentagone, le lieutenant-colonel Uriah Orland. «Le Commandement spatial américain est au courant de l'échec du lancement de la fusée iranienne qui s'est produit au début du 12 juin», mais sans plus de détails.
Le Pentagone et le Commandement spatial américain n'ont pas immédiatement répondu à une demande de commentaires de l'Associated Press tôt mercredi.
Le choix de la date du 12 juin est mystérieux, car Téhéran programme généralement fait coïncider les lancements avec les commémorations nationales. Le lancement raté s’est toutefois produit la veille de l'élection présidentielle iranienne la semaine dernière, au cours de laquelle la République islamique avait espéré augmenter le taux de participation.
Dimanche, une nouvelle image satellite de Planet Labs a montré un regain d'activité sur le site. L'image montre une plate-forme mobile précédemment utilisée pour sécuriser une fusée Simorgh sur le portique, un véhicule de support vu lors des lancements précédents et une nouvelle ligne de conteneurs de carburant alignés sur le site. Lewis a précisé que l'équipement indique qu'un autre lancement est vraiment imminent.
Au cours de la dernière décennie, l'Iran a brièvement envoyé plusieurs satellites en orbite et a, en 2013, lancé un singe dans l'espace. Le programme a cependant connu des problèmes dernièrement. Un lancement raté ce mois-ci serait le quatrième d'affilée pour le programme Simorgh.
Un autre incendie au port spatial Imam Khomeini en février 2019 a tué trois chercheurs, d’après les autorités à l'époque.
Une explosion de roquette en août 2019 a attiré l'attention du président de l'époque, Donald Trump, qui a ensuite tweeté ce qui semblait être une image de surveillance classée secrète de l'échec du lancement. Les échecs successifs ont fait naître des soupçons d’ingérence extérieure dans le programme iranien, ce que Trump lui-même a laissé entendre en tweetant à l’époque que les États-Unis «n’étaient pas impliqués dans l’accident catastrophique».
Mais Lewis rappelle que de tels échecs sont courants lorsqu’on essaie de soigneusement placer des objets en orbite autour de la Terre.
Pendant ce temps-là, la Garde de la révolution iranienne a révélé en avril 2020 son propre programme spatial secret en lançant avec succès un satellite en orbite. Le chef du commandement spatial américain a ensuite balayé l’idée du lancement du satellite comme «une webcam qui culbute dans l'espace» incapable de fournir des renseignements d'intelligence substantiels à l'Iran, même s'il a montré la capacité de Téhéran à entrer en orbite.
Le prochain lancement suit l'élection écrasante du président iranien élu Ebrahim Raïssi, le chef de l’autorité judiciaire pur et dur du pays lié à l'exécution massive de milliers de personnes en 1988. Le vote a enregistré le plus faible taux de participation à une élection présidentielle depuis la révolution islamique iranienne de 1979.
Raïssi succèdera au président iranien sortant Hassan Rouhani, un leader relativement modéré qui a guidé Téhéran dans son accord nucléaire de 2015 avec les puissances mondiales. Trump a unilatéralement retiré les États Unis de l'accord en 2018, ce qui a déclenché un tsunami de tensions dans le Moyen-Orient. Des diplomates réunis à Vienne tentent de trouver un moyen pour l'Iran et les États-Unis de réintégrer l'accord, qui a vu Téhéran accepter de limiter son enrichissement nucléaire en échange de la levée des sanctions économiques.
Les États-Unis affirment que de tels lancements de satellites défient une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU, et ont appelé l'Iran à n'entreprendre aucune activité liée aux missiles balistiques capables de transporter des armes nucléaires.
Téhéran, qui a longtemps affirmé qu'elle ne cherchait pas à acquérir des armes nucléaires, a précédemment soutenu que ses lancements de satellites et ses essais de fusées n'avaient pas d’aspect militaire.
Les agences de renseignement américaines et l'Agence internationale de l'énergie atomique affirment que l'Iran a déjà abandonné un programme nucléaire militaire structuré en 2003.
Le Simorgh, cependant, est beaucoup trop gros et trop lent à alimenter pour être un bon transporteur pour une arme à pointe nucléaire, assure Lewis.
«C'est un couteau à beurre», a-t-il ajouté. «Pourriez-vous poignarder quelqu'un avec un couteau à beurre ? Oui, mais ce n'est pas vraiment l'outil de choix».
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com