PARIS : Des films dont les oreilles se souviennent. Hollywood s'est entiché d'un magicien français du son, Nicolas Becker, dont le travail sonore inédit sur "Sound of Metal", mercredi en salles en France, a été récompensé d'un Oscar.
Dans l'idéal, ce drame subtil sur la surdité, auréolé de deux Oscars (meilleur montage et meilleur son) et signé Darius Marder, est à voir deux fois.
Une première pour l'image, tournée en pellicule, et l'interprétation de Riz Ahmed (découvert dans la série "The Night Of") en batteur d'un duo de musique métal qui voit sa vie et son couple vaciller lorsqu'il perd l'ouïe. Le film est projeté en audio-description.
Une seconde fois les yeux fermés, pour le son, jamais entendu dans une salle de cinéma. Pendant deux heures, le réalisateur et son "sound designer" proposent un voyage dans la surdité, entre acouphènes, vibrations qui résonnent le long de la colonne vertébrale et plages de silence.
Derrière ce résultat surprenant, un surdoué de la console de mixage, Nicolas Becker, faux airs de Sébastien Tellier avec ses cheveux longs et son look néo-hippie.
Chasseur de sons
"Au cinéma, le son a la capacité de créer des sensations fortes. Il peut nous donner à regarder les choses", assure, dans la cour parisienne de son petit studio d'enregistrement, ce quinquagénaire qui ne jure que par l'expérimentation et la collaboration.
En travaillant avec lui, les réalisateurs font de la bande-son une partie de l'œuvre, à part entière: il intervient dès la naissance des projets, discute, assiste aux tournages et ne se contente pas de "post-produire".
Son mantra de chasseur de sons: "J'enregistre tout". Quand d'autres piochent dans des bases de données sonores préenregistrées, lui mouille la chemise pour capter des sons inédits qu'il insère dans les films.
Il lui est arrivé de partir dans le désert pour y enregistrer le silence ou de s'enfermer dans une demeure ancienne sur le plateau de Millevaches (sud-ouest de la France) pour capter les grincements du parquet...
Pour "Sound of Metal", des stéthoscopes bricolés ont été fixés sur l'ossature de Riz Ahmed et pour faire ressentir physiquement la surdité, des sons inédits ont été enregistrés à l'aide "d'hydrophones" (microphones plongés sous l'eau)...
Pour le réalisateur, Nicolas Becker est "un véritable artiste", intervenu dès "l'amont du tournage": "Le travail de post-production ainsi que le mixage sonore ont été titanesques, pour faire en sorte que l’expérience soit la plus réaliste possible", déclare Darius Marder.
"Le son est très puissant, pas seulement pour donner des informations mais pour créer des sensations, rappeler des souvenirs, dont certains remontent à la vie pré-utérine", explique de son côté Nicolas Becker.
Des débuts aux "Feux de l'Amour"
Parmi ses modèles, le chef d'oeuvre de Fritz Lang, "M le Maudit" (1931), et ce tueur dont le sifflement suffit à mettre les nerfs en pelote...
Avant d'être encensé par Hollywood, Nicolas Becker, qui n'a aucun lien de parenté avec Jacques Becker ("Casque d'or") ou son fils Jean Becker ("Les enfants du marais"), est un autodidacte, fils de profs qui à 13 ans ressent un choc esthétique devant un documentaire télé sur le son au cinéma.
"Au début, j'ai fait beaucoup de bruitage, par exemple sur les Feux de l'Amour", s'amuse-t-il. Dans les années 1990, il sent "un vent nouveau" en travaillant sur "La Haine" de Mathieu Kassovitz.
Son tableau de chasse va de Jan Kounen ("Blueberry") à Alfonso Cuaron ("Gravity"). Depuis l'Oscar, les propositions prestigieuses se sont encore multipliées.
Rêve-t-il de travailler davantage en France ? "Le cinéma français est très conservateur. Cela remonte à la Nouvelle Vague, qui encense l'auteur, les acteurs et relègue le reste au rang de techniciens", cingle-t-il, même si les choses commencent à évoluer.
En attendant, lui qui se dit "toujours attiré par l'expérimental", n'hésite pas à musarder du côté du jeu vidéo, ou de l'art contemporain, avec son complice plasticien Philippe Parreno.