BRUXELLES : Un nouveau front s'est ouvert contre l'agence Frontex, déjà visée par des accusations de refoulements illégaux de migrants: la Cour des comptes européenne a dénoncé lundi son manque d'efficacité dans la lutte contre la criminalité transfrontalière et l'immigration illégale.
"Notre opinion, basée sur des faits, est que Frontex ne s'acquitte pas de cette tâche de manière efficace actuellement. C'est d'autant plus inquiétant à un moment où elle se voit confier des responsabilités accrues", a déclaré le responsable d'un rapport publié lundi, Leo Brincat.
L'agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, créée en 2004, a vu son mandat élargi en 2016 pour aider les Etats membres à lutter contre l'immigration illégale et la criminalité transfrontalière.
Ce mandat a encore été renforcé en 2019, en prévoyant la mise en place d'un contingent permanent de 10.000 membres d'ici 2027 - alors que ses effectifs n'étaient que de 750 en 2019 - et un budget moyen d'environ 900 millions d'euros par an pour la période 2021-2027.
Ce budget, qui était de 19 millions d'euros en 2006, est passé à 460 millions d'euros en 2020.
Les auditeurs pointent notamment "des lacunes et des incohérences" dans le système d'échange d'informations entre Frontex et les Etats membres.
Ils ont "noté que, bien qu'un cadre fonctionnel pour l'échange d'informations ait été mis en place pour soutenir la lutte contre l'immigration illégale, il ne fonctionnait pas suffisamment bien pour fournir un tableau exact, complet et actualisé de la situation aux frontières extérieures de l'UE". Et qu'un "cadre adéquat pour l'échange d'informations aux fins de la lutte contre la criminalité transfrontalière n'a pas encore été institué".
"Cela affecte la capacité de Frontex et des États membres à surveiller les frontières extérieures et, le cas échéant, à réagir rapidement aux menaces détectées", estiment-ils.
«Trop vite»
Le rapport contient cinq recommandations, adressées pour la plupart à Frontex mais aussi à la Commission européenne.
La Cour des comptes regrette que le mandat de 2019 ait été approuvé "sans qu'aucune analyse d'impact ou évaluation visant à déterminer si Frontex s'était acquittée de son mandat précédent ne soit réalisée".
Les auditeurs estiment aussi que Frontex ne remplit pas pleinement sa mission d'évaluation "de la vulnérabilité des Etats membres afin de déterminer leur capacité et leur préparation à faire face aux menaces" aux frontières extérieures.
"Nous pensons que Frontex a connu trop de changements trop vite", a commenté Leo Brincat, rappelant que la décision de renforcer son mandat avait été prise par les Etats membres. Il a jugé que "le costume est trop grand pour elle".
L'audit, décidé par la Cour en 2019, ne porte toutefois pas sur les accusations de refoulements de migrants en mer Egée dont fait l'objet Frontex depuis la publication d'une enquête dans plusieurs médias en octobre 2020.
Accusée d'être impliquée avec les garde-côtes grecs dans ces agissements illégaux, Frontex est visée par plusieurs enquêtes sur cette question et sur des soupçons de mauvaise gestion, notamment de l'Office européen de lutte antifraude, l'Olaf.
Le Parlement européen à reporter sa décision sur la validation des comptes 2019 de l'agence, dans l'attente de "clarifications".
Une enquête interne à Frontex et une enquête conduite par un groupe de travail du conseil d'administration de Frontex -composé de représentants de la Commission et des Etats membres- n'ont pas mis en évidence de violations des droits de l'homme par l'agence dans les incidents de refoulements rapportés.
Dans son rapport, la Cour des comptes déplore par ailleurs que Frontex "analyse rarement" l'impact de ses activités et "ne fournit pas non plus d'information sur le coût réel de ses opérations conjointes".
Ce qui devrait être le cas pour "une organisation qui est sur le point de devenir la plus grosse agence de l'UE avec le plus gros budget", souligne M. Brincat.
Les auditeurs estiment que "ne s'étant toujours pas adaptée aux exigences de son mandat de 2016", Frontex "n'est pas davantage prête à mettre en oeuvre efficacement le mandat reçu en 2019".
Frontex, dirigée par le Français Fabrice Leggeri, a indiqué dans un communiqué transmis à l'AFP être "consciente que des améliorations sont nécessaires et travaille dur pour rendre l'agence plus forte et encore plus efficace".
"Bon nombre des problèmes soulevés sont liés à des facteurs externes qui échappent au contrôle de l'agence", a toutefois affirmé son porte-parole, ajoutant que la mise en oeuvre des recommandations du rapport "requiert un effort combiné de Frontex, de la Commission européenne et des autorités nationales".