LIMA : Les Péruviens sont appelés aux urnes dimanche pour élire leur nouveau président parmi les deux vainqueurs surprise du premier tour: la candidate de droite populiste Keiko Fujimori ou le représentant de gauche radicale Pedro Castillo.
Dans un pays où le vote est obligatoire sous peine d'amende, une majorité se rendra dans les centres de vote à contrecœur.
Ecartelés par deux extrêmes dans lesquels ils ne se reconnaissent pas, ils sont surtout préoccupés par les chiffres alarmants de l'épidémie de coronavirus qui a déjà fait plus de 184 000 morts, faisant du pays andin le 5e le plus endeuillé au monde et le premier par rapport à son nombre d'habitants (33 millions).
Après le soulèvement populaire de novembre 2020 pour protester contre les agissements du Parlement et la succession de trois présidents en 10 jours, cette présidentielle était attendue pour mettre fin à une instabilité politique chronique dans le pays qui a aussi connu six ministres des Affaires étrangères en un an.
Mais le futur président n'aura pas les coudées franches pour gouverner. Lors des législatives organisées début avril lors du 1er tour, aucune majorité ne s'est détachée. Le parti Peru Libre de Pedro Castillo est arrivé légèrement en tête devant Fuerza Popular de Keiko Fujimori.
3e second tour pour Fujimori
Et au lieu d'apaiser les tensions ambiantes, la campagne du second tour les aura alimentées entre deux camps fortement antagonistes et au coude à coude dans les sondages: 42% des intentions de vote pour Pedro Castillo, contre 40% pour Keiko Fujimori, selon une enquête de l'Institut Ipsos réalisée à une semaine du scrutin.
Mme Fujimori, 46 ans, et ses partisans n'ont eu de cesse d'agiter le chiffon rouge par rapport au candidat de la gauche radicale, affirmant qu'il allait transformer le Pérou en une sorte de Corée du Nord ou de Venezuela, et mener le pays à la ruine et à la dictature.
L'instituteur syndicaliste de 51 ans a, lui, répété à l'envi qu'avec sa rivale ce sera "plus de pauvres dans un pays riche" et que perdurera la corruption.
Il fait référence au scandale Odebrecht, du nom du géant brésilien du bâtiment qui a reconnu avoir versé des pots-de-vin dans plusieurs pays latino-américains. L'affaire a éclaboussé de déshonneur la classe politique péruvienne.
Pas moins de quatre ex-présidents, dont un s'est suicidé, ont été impliqués dans ce scandale.
Et Keiko Fujimori, qui a déjà passé 16 mois en détention provisoire pour blanchiment d'argent présumé dans cette affaire, a vu le parquet requérir contre elle 30 années de prison.
En cas de victoire, après deux échecs au second tour en 2011 et 2016, elle deviendra la première femme présidente du Pérou et ne pourra être jugée qu'à l'issue de son mandat de cinq ans.
Un fauteuil éjectable qui peut conduire en prison
Corruption des élites, pouvoirs du Parlement: le fauteuil de président du Pérou s'apparente souvent à un siège éjectable, qui peut conduire en prison ou même à la mort.
Sur les dix présidents qu'a connus le pays depuis la fin du régime militaire en 1980, sept ont été condamnés ou sont le coup d'une enquête pour des scandales de corruption.
Seuls Fernando Belaunde Terry (1963-1968 et 1980-1985) et Valentin Paniagua (huit mois en 2000-2001) en sont sortis indemnes.
Président par intérim depuis novembre, Francisco Sagasti semble être en mesure de terminer sans encombre son mandat avant le scrutin de dimanche qui désignera son successeur, entre Keiko Fujimori et Pedro Castillo.
Economie dégradée
Si les deux candidats ont des programmes politiques à l'extrême opposé, étatisme et nationalisations d'un côté, libre concurrence et réduction des impôts de l'autre, ils s'accordent cependant sur certaines questions de société.
Le vainqueur devra aussi faire face à une situation économique dégradée: après avoir connu pendant des années une croissance supérieure à la moyenne latino-américaine, celle-ci s'est contractée de 11,12% en 2020, le pire chiffre depuis trois décennies.
Deux millions de Péruviens ont perdu leur emploi pendant la pandémie et trois millions ont basculé dans la pauvreté. Un tiers des habitants sont classés comme pauvres, selon les chiffres officiels.
Les bureaux de vote seront ouverts douze heures d'affilée pour limiter les attroupements, de 07H00 à 19H00 locales (12H00-00H00 GMT). Les premiers résultats officiels seront connus vers 23H00 (04h00 GMT lundi).
Cinq choses à savoir sur le Pérou
Terre des Incas
Le Pérou a abrité la plus ancienne civilisation des Amériques (Caral, il y a 5.000 à 3.500 ans), puis une succession de civilisations, avant l'apogée de l'empire inca (1400-1532 environ), dont plusieurs sites sont classés au patrimoine mondial de l'Unesco, comme la cité de Machu Picchu.
Colonie espagnole après 1532, le Pérou est indépendant depuis 1821. Après la Guerre du Pacifique (1879-83), il perd un pan de son territoire, annexé par le Chili.
Multiculturalisme
Le Pérou est un pays multiculturel, où cohabitent diverses communautés: les "criollos" qui descendent des Espagnols, les Amérindiens quechuas, aymaras et d'autres peuples indigènes vivant en Amazonie, les Afro-péruviens, descendants d'anciens esclaves, auxquels s'ajoutent les immigrants venus de Chine et du Japon.
Selon le ministère de la Culture, 16 communautés amérindiennes (4 500 personnes) vivent en situation d'isolement volontaire, sans aucun contact avec le reste de la société péruvienne.
Sentier lumineux
Entre 1980 et 2000, le pays est en proie à un conflit entre l'Etat et les guérillas du Sentier lumineux (maoïste) et du Mouvement révolutionnaire Tupac Amaru (guévariste), qui fait 70 000 morts ou disparus.
Précieux métaux
Le Pérou est un des principaux producteurs mondiaux d'or, d'argent, de cuivre, de zinc, d'étain et de plomb.
En 2020, son PIB, plombé par la pandémie de coronavirus, a chuté de 11,12% selon l'Institut national péruvien des statistiques (INEI).
Une gastronomie réputée
La cuisine péruvienne et sa grande diversité est une autre attraction majeure pour les quatre millions de touristes étrangers que le pays recevait chaque année jusqu'à l'apparition de la pandémie.
Parmi les plats péruviens les plus réputés figure le ceviche, du poisson "cuit" dans une marinade à base le plus souvent de citron et qui se déguste froid. Il y a aussi le fameux pisco sour, un cocktail à base d'eau-de-vie de raisin et de citron.