WASHINGTON : Des manifestants pro-Trump forçant l'entrée du vénérable Capitole, les élus fuyant l'arrivée des émeutiers, des membres armés de la sécurité tentant de protéger l'hémicycle et plusieurs morts...
Malgré le profond traumatisme provoqué par le violent assaut du siège du pouvoir parlementaire américain, démocrates et républicains n'ont pas pu parvenir vendredi à un consensus sur une commission d'enquête indépendante.
Un échec symbole des profondes divisions qui tiraillent toujours les Etats-Unis près de cinq mois après l'attaque du 6 janvier, et de la profonde influence qu'exerce encore l'ex-président républicain sur son camp.
« Les Américains sont plus enclins à se rassembler, selon moi, que le Congrès et les élus », a déclaré Joe Biden vendredi.
Il fallait dix voix républicaines ajoutées aux 50 démocrates pour franchir un vote de procédure et parvenir ensuite au vote final sur sa création, déjà approuvée par la Chambre des représentants.
Seuls six républicains ont voté pour: Bill Cassidy, Susan Collins, Lisa Murkowski, Rob Portman, Mitt Romney et Ben Sasse.
Les autres, derrière leur chef de file au Sénat Mitch McConnell, voyaient dans cette commission un « exercice purement politique » qui n'ajouterait rien aux enquêtes de police déjà en cours, avec près de 450 arrestations.
Le 19 mai, seuls 35 des 211 républicains de la Chambre des représentants avaient voté pour.
Pourtant, rétorquaient ses défenseurs, la commission aurait compris cinq membres choisis par les démocrates et cinq autres choisis par les républicains, sur le modèle exact de celle créée après le 11-Septembre, qui avait bénéficié d'un fort soutien dans les deux camps.
Mais la donne est bien différente, et l'Amérique, ultra-divisée après quatre ans de mandat de Donald Trump.
Car c'est bien lui qui fut au cœur des débats.
De quoi les républicains ont-ils « peur? La vérité? Avez-vous peur que le grand mensonge de Donald Trump soit démenti? », leur a lancé vendredi le chef de la majorité démocrate au Sénat Chuck Schumer.
« Allumé la mèche »
Le milliardaire n'a jamais concédé explicitement sa défaite à la présidentielle du 3 novembre 2020.
Plus de quatre mois après avoir quitté la Maison Blanche, le 20 janvier, il continue d'affirmer que le scrutin lui a été volé, malgré l'échec de tous ses recours en justice pour dénoncer des fraudes massives.
« Arrêtez le vol! »: c'est justement sous ce mot d'ordre que des milliers de ses partisans s'étaient rassemblés devant la Maison Blanche le 6 janvier.
Plusieurs centaines avaient ensuite forcé l'entrée du Capitole, où les parlementaires certifiaient la victoire de son rival Joe Biden.
Juste avant, le président sortant leur avait lancé: « Battez-vous comme des diables ».
Pour les démocrates, pas de doute: Donald Trump « a allumé la mèche » des violences.
Accusé d' « incitation à l'insurrection » par la Chambre des représentants, l'ancien président avait été acquitté par le Sénat en février au terme d'un procès en destitution, faute de voix suffisantes du côté républicain.
Les chefs de son parti au Congrès avaient toutefois souligné la « responsabilité » de l'ex-président dans l'attaque, tout en martelant que le Sénat n'était pas compétent pour le juger.
Elections des « midterms » en jeu
Mais la plupart des élus républicains sont désormais déterminés à tourner la page, avec un objectif en vue: les élections parlementaires de mi-mandat, ou « midterms », de novembre 2022, lorsqu'ils espèrent reprendre le contrôle des deux chambres du Congrès.
Pour Calvin Jillson, professeur de sciences politiques à l'université Southern Methodist de Dallas, les chefs du « Grand Old Party » ont fait un « pari »:
Assumer aujourd'hui l'avalanche de critiques provoquée par leur blocage de cette commission indépendante plutôt que d'avoir à répondre aux conclusions potentiellement embarrassantes de son rapport, prévu d'ici le 31 décembre et qui deviendrait donc « le centre d'attention » début 2022, lorsque la longue campagne des « midterms » aura démarré.
D'autre part, « ils craignent d'aliéner la base (d'électeurs) de Donald Trump s'ils sont trop proactifs dans l'examen des événements de janvier », renchérit Capri Cafaro, enseignante à l'American University et ancienne élue démocrate de l'Ohio.
Interrogé sur la commission cette semaine, Mitch McConnell avait admis ses visées électorales: à l'automne 2022, les Américains « doivent se concentrer sur ce que cette administration (Biden) fait au pays ».
Favorable à la création d'une commission, la sénatrice républicaine de l'Alaska Lisa Murkowski s'est indignée jeudi soir devant des journalistes de la « décision » de ses chefs de « s'intéresser aux gains politiques à court terme plutôt que de reconnaître ce qu'il s'est passé le 6 janvier ».
« On ne se soucie vraiment que de cela ? D'un cycle électoral après l'autre ? »