PARIS : « La CGT est en danger de mort », dramatise un patron de fédération. Les mauvais résultats électoraux enregistrés dans le privé par la centrale syndicale ravivent les plaies d'une organisation traversée de profondes tensions, poussant certains à déclarer ouverte la succession de Philippe Martinez.
Rendus publics mercredi, les chiffres de la mesure de l'audience syndicale sont sans appel : la CGT, qui avait obtenu en 2013 26,77% des suffrages, et perdu en 2017 sa place de premier syndicat du privé au profit de la CFDT, avec 24,85% des voix, est tombée cette année à 22,96%.
Dans un communiqué, la CGT a dit « mesure(r) le déficit de présence qu'elle doit combler pour repasser en tête », et promis de « tout mettre en œuvre pour être le syndicat de tous les salariés ». Son dirigeant Philippe Martinez n'a pas pris la parole depuis l'annonce des résultats.
Pour Emmanuel Lépine, secrétaire général de la fédération CGT des industries chimiques (Fnic-CGT), les derniers chiffres marquent « un grave recul, contrairement d'ailleurs à ce que dit la note confédérale, qui considère que tout va bien ».
« Quand on est dans le déni de la réalité, on a du mal à établir un plan d'actions pour modifier cette réalité », a-t-il confié à l'AFP.
Romain Altmann, secrétaire général du syndicat Info'Com CGT, dit ne pas être « surpris ».
« Malheureusement, il n'y a pas l'air d'avoir dans la CGT une prise de conscience sur sa propre baisse d'influence », déplore-t-il. Alors que la perte du statut de numéro un aurait dû être un « électrochoc », rien ne s'est passé, affirme-t-il.
Le syndicaliste appelle sans détour à « changer d'ère »: « Ecrivons une nouvelle page de la CGT (...). Et ça passe notamment par une nouvelle direction ».
M. Lépine, sans se prononcer sur les « questions de personnes », appelle lui à un changement d' « orientation », et souhaite que le congrès de la CGT ait lieu le plus tôt possible, en mai 2022, trois ans après le congrès de Dijon.
Un « pôle contestataire » qui « grossit »
Il est signataire avec de nombreux membres de sa fédération d'un « appel pour une CGT à la hauteur des enjeux », dont les représentants se sont retrouvés à Gardanne (Bouches-du-Rhône) la semaine dernière.
Plaidant pour une CGT plus combattive, ils appellent à la mise sur pied d'un « plan de lutte national interprofessionnel », avec en vue une mobilisation d'ampleur à la rentrée.
Selon M. Altmann, ce « pôle contestataire » –qui regroupe trois importantes unions départementales, celles des Bouches-du-Rhône, du Nord et du Val-de-Marne, ainsi que des représentants des fédérations de la chimie, du commerce et des services publics – est « en train de grossir ».
Autre ligne de fracture au sein de la CGT, quoique moins structurante selon lui, celle née autour de la volonté du secrétaire général de la CGT d'adhérer au collectif « Plus jamais ça », avec des ONG environnementales comme Greenpeace.
Les fédérations des cheminots et de l'énergie ont écrit des courriers à la direction de la CGT pour marquer leur désaccord. « Le collectif Plus jamais ça, on n'adhère pas du tout », affirme Sébastien Menesplier, secrétaire général de la CGT Mines-Energie.
La décision a posé problème à certains sur le fond et de manière plus globale sur la forme, M. Martinez ayant « sorti (cette idée) du chapeau après la pandémie, sans construction et consultation en interne », selon M. Altmann.
Le comité confédéral national (CCN) des 29 et 30 juin doit se prononcer sur la date du congrès, la commission exécutive confédérale ayant pour l'instant proposé qu'il se tienne fin novembre 2022.
Plusieurs noms sont évoqués pour succéder à Philippe Martinez, élu en 2015: ceux de Sophie Binet, co-secrétaire générale de l'Ugict-CGT, de Baptiste Talbot, ancien secrétaire général de la fédération des services publics, et de Laurent Brun, patron des cheminots.
Ce dernier tourne clairement la page Martinez, affirmant que l'actuel numéro un est « retraitable » et qu'il ne « voit pas un retraité à la tête de la confédération ».
M. Brun n'exclut pas une candidature: « Si la CGT m'expliquait que si je ne vais pas à la confédération, c'est la mort et le néant, je réfléchirais peut-être... »