BAMAKO: Les militaires maliens, auteurs de leur second coup de force en moins d'un an, devront choisir entre la poursuite des intrigues de palais et la lutte contre les jihadistes, estiment des experts.
Le président et le Premier ministre de transition, Bah Ndaw et Moctar Ouane, ont démissionné mercredi, après leur arrestation lundi par les militaires, selon des sources militaire et diplomatique.
Ce coup de force aux conséquences imprévisibles a remis sur le devant de la scène le colonel Assimi Goïta, discret vice-président de la transition mais véritable homme fort à Bamako depuis qu'il a dirigé en août 2020 le putsch qui a renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta, réélu un an plus tôt.
C'est le colonel Goïta qui a indiqué mardi avoir écarté le président de transition et son Premier ministre, en les accusant d'avoir formé un nouveau gouvernement sans le consulter alors qu'il est le vice-président en charge des questions de sécurité, attribution primordiale dans un pays confronté à la propagation jihadiste et aux violences en tous genres.
Leur tort est en particulier d'avoir privé deux figures de la junte des portefeuilles de la Défense et de la Sécurité.
« Que leurs hommes se fassent tuer au front n'émeut pas les militaires, mais qu'un ministère et les gains qui en découlent leur échappent, cela devient un motif de soulèvement ? », s'interroge un observateur malien proche des milieux sécuritaires.
La preuve, selon lui, que l'armée malienne, au cœur de toutes les luttes de pouvoir depuis l'indépendance de la France en 1960, n'a d'autres desseins que « ses intérêts » propres.
Les colonels avaient justifié leur coup d'Etat d'août 2020, après des mois d'une contestation populaire contre le président Keïta, par le besoin de renforcer la lutte contre la corruption et la mal-gouvernance, et par la nécessité d'intensifier la traque des groupes jihadistes dans le nord et le centre du pays.
Bien qu'ils aient contrôlé de fait les organes de la transition mis en place après leur putsch, les militaires ont échoué à contenir les jihadistes, dont les attaques meurtrières se sont poursuivies sans relâche.
« Fragiliser le pays »
Pour le chercheur Boubacar Ba, « les militaires pourront difficilement gérer en même temps la politique à Bamako et combattre sur le terrain ».
L'Association malienne des droits de l'Homme (AMDH) estime que le « deuxième coup de force en moins d'un an » déclenché lundi par le colonel Goïta va même « contribuer davantage à fragiliser le pays ».
Les jihadistes s'emploient de plus en plus à apparaître auprès des populations comme administrant la justice dans de vastes étendues du territoire malien échappant à tout contrôle de l'Etat.
Début mai, des hommes armés présumés liés à l'organisation Etat islamique au Grand Sahara (EIGS) ont ainsi rassemblé la foule lors d'un marché près d'Ansongo (Nord) et lui ont présenté trois hommes qualifiés de voleurs, auxquels ils ont coupé la main droite et le pied gauche, une première depuis des années.
Pour Yvan Guichaoua, spécialiste du Sahel à l'Université du Kent (Grande-Bretagne), si à la faiblesse de l'armée s'ajoute une « instabilité chronique au cœur du pouvoir », le « retour de l'Etat et le sursaut civil », qui sont censés « ramener les brebis égarées du jihad » dans le droit chemin, ressemblent de plus en plus à des « chimères ».
Principale alliance jihadiste au Sahel liée à Al-Qaïda, le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM) « n'est pas qu'un mouvement insurrectionnel armé », dit-il.
Le GSIM est aussi porteur d'une « offre politique » dont l'influence « ne peut que bénéficier des perpétuels +jeux crapuleux+ qui se déroulent dans la capitale », selon Guichaoua.
Le chercheur Boubacar Ba souligne pour sa part que, à mille lieues des soubresauts de la vie politique à Bamako, des accords de paix locaux entre populations et jihadistes se sont multipliés ces derniers temps dans le centre du pays.