TEHERAN: A un peu plus d'un mois de la présidentielle iranienne, des habitants de Téhéran expriment sans détour leur exaspération face à la crise et la presse locale s'inquiète pour le niveau de la participation.
Au lendemain de la clôture du dépôt des candidatures, les propos tenus dimanche par plusieurs habitants de Téhéran semblent corroborer les craintes des journaux : dans un pays où l'on se montre généralement prudent avec la presse étrangère, le ras-le-bol s'exprime désormais ouvertement.
« Tout est devenu plus cher, les loyers, la nourriture, le poulet, la viande (...) On est locataire, on n'a aucun revenu. Pour qui devrions-nous voter ? A qui peut-on faire confiance ? » demande Fatémeh, femme au foyer.
Les craintes d'une forte abstention sont plus clairement exprimées dans les journaux réformateurs -- une plus faible participation passant pour favoriser le camp conservateur, comme aux législatives de 2020 -- mais elles ne sont pas totalement passées sous silence par la presse conservatrice.
Les Iraniens doivent voter le 18 juin pour élire un successeur au président Hassan Rohani, à la tête d'un gouvernement modéré-réformateur, et à qui la Constitution interdit de briguer un troisième mandat consécutif.
« Trahison »
Elu en 2013, Rohani a parié sur la normalisation avec l'Occident pour sortir son pays de l'isolement et attirer des investisseurs étrangers grâce à l'accord international sur le nucléaire iranien conclu en 2015.
Mais la dénonciation de ce pacte en 2018 par les Etats-Unis, suivie du retour de sanctions américaines, a plongé le pays dans une violente récession accompagnée d'une inflation galopante, cocktail dévastateur sur le pan social.
En novembre 2019, une vague de contestation contre le pouvoir après l'annonce subite d'une forte hausse du prix de l'essence a été réprimée dans le sang.
Près de 600 candidats à la présidentielle, dont 40 femmes, se sont enregistrés. Mais seul un petit nombre sera autorisé à se présenter au scrutin après validation par le Conseil des gardiens de la Constitution, organe non élu chargé de contrôler l'élection.
Selon le quotidien réformateur Shargh, « divers sondages » montrent que « plus de la moitié » des électeurs ne veulent pas aller voter.
Avant même de connaître la liste finale des candidats, l'élection semble être partie pour se jouer à droite, entre le conservateur Ali Larijani, ancien président du Parlement, et l'ultraconservateur Ebrahim Raïssi, chef de l'Autorité judiciaire.
Aux législatives de février 2020, l'abstention avait atteint un record (plus de 57%), imputée à la disqualification de milliers de candidats réformateurs et modérés et au désenchantement de la population.
Le journal gouvernemental Iran appelle à « garantir la présence de candidats de (diverses) orientations politiques dans la compétition finale » pour arriver à une « participation formidable. » En cas contraire, le quotidien met en garde contre un « risque de frustration ».
Mais à écouter Massoud, commerçant, cette « frustration » est déjà bien là.
« Aucun président n'a fait son travail correctement, fulmine-t-il, la situation empire de jour en jour. »
« La vie de notre jeunesse est très mauvaise (...) La dépendance à la drogue est catastrophique. C'est pour cette raison que tout le monde hésite car si l'on vote et que rien n'est fait derrière, c'est une trahison », ajoute-t-il.
« Rohani a foiré »
Pour Zeinab, journaliste, il est temps « de mettre fin à cette histoire de distinction entre réformateurs et conservateurs ».
L'Etat « doit réfléchir à la situation du pays et ne pas tromper les gens avec ces catégories », dit-elle, jugeant que « le gouvernement Rohani a vraiment foiré ».
Même le journal ultraconservateur Javan reconnaît que « plus de participation » serait souhaitable afin de témoigner « un solide soutien au système » de la République islamique, en place depuis plus de 42 ans.
Mais pour cela, de nombreux déçus devront changer d'avis d'ici au 18 juin. Comme Hechmatollah, fonctionnaire retraité qui s'interroge sur l'utilité d'aller voter.
« Depuis la Révolution, nous avons élu douze présidents (...) Les élections sont l'apogée de la démocratie et nous y avons participé (par le passé, mais pour quel) résultat ? », demande-t-il. « Il y a aujourd'hui deux-trois chômeurs dans chaque foyer. »
Maryam, infirmière, « pense que (sa) voix compte » et semble décidée à aller voter, mais constate qu'autour d'elle, « tout le monde dit que le résultat des élections est décidé à l'avance ».