OMSK, MOSCOU: L'avion médicalisé transportant le principal opposant russe Alexeï Navalny, dans le coma après ce que son entourage affirme être un "empoisonnement", s'est envolé samedi matin de la ville sibérienne d'Omsk vers l'Allemagne, où il doit être soigné. Ce départ survient après une journée de bras de fer entre ses proches et les médecins russes au sujet de son évacuation.
"Merci à tous pour votre persévérance. Sans votre soutien, nous n'aurions pas pu l'emmener!", a remercié sur Instagram la femme de l'opposant, Ioulia Navalnaïa, qui l'accompagne sur le vol, publiant une photo du brancard de son mari embarqué dans l'avion. "Il reste encore beaucoup d'épreuves à traverser, mais maintenant au moins le premier pas a été franchi", a déclaré sur Twitter la porte-parole de l'opposant, Kira Iarmych.
L'hôpital russe où a été admis l'opposant jeudi a donné son feu vert vendredi à son transport vers l'Allemagne, affirmant que son état était "stable", après s'y être initialement opposé.
Alexeï Navalny, l'un des critiques les plus féroces du Kremlin, se rendait de Tomsk à Moscou quand l'appareil dans lequel il se trouvait a dû faire un atterrissage d'urgence à Omsk, en Sibérie occidentale. L'opposant y a été admis à l'hôpital, plongé dans un coma naturel, placé en réanimation et relié à un respirateur artificiel. Les médecins ont dit jeudi "se battre pour lui sauver la vie". Ses alliés ont dit être persuadés qu'il a été victime d'un "empoisonnement intentionnel", "avec quelque chose de mélangé à son thé".
"Les médecins font plus que tout leur possible, ils se battent vraiment pour lui sauver la vie", a déclaré aux journalistes Anatoli Kalinitchenko, le vice-directeur de l'hôpital des urgences n°1 d'Omsk où l'opposant a été admis, placé en réanimation et relié à un respirateur artificiel. S'exprimant à la radio Echo de Moscou, la porte-parole de Navalny, Kira Iarmych, qui voyageait avec lui, a dit être persuadée que l'opposant avait été victime d'un "empoisonnement intentionnel". "Nous pensons qu'Alexeï a été empoisonné avec quelque chose de mélangé à son thé. Il n'a rien bu d'autre ce matin", a-t-elle précisé sur Twitter. Selon elle, il semblait "parfaitement bien" dans la matinée à Tomsk mais "tout de suite après le décollage, il a perdu connaissance". Vendredi matin, des sources médicales déclaraient qu’aucune trace de poison n’a été détectée dans son sang.
Aide médicale proposée par la France et l'Allemagne
Les proches et alliés du principal opposant russe, Alexeï Navalny, placé en réanimation ont dénoncé pour leur part le refus des médecins de le transférer à l'étranger, une décision qui met selon eux "sa vie en danger".
La France et l'Allemagne avaient toutes deux offert jeudi "toute aide médicale", un avion médicalisé affrété depuis Berlin par une ONG ayant même rejoint la Sibérie dans la nuit avec l'objectif de ramener en Allemagne le charismatique militant anti-corruption.
"Le médecin-en-chef a annoncé que Navalny n'est pas transportable. Son état est instable", a indiqué la porte-parole de l'opposant Kira Iarmych sur Twitter, estimant qu'il serait "mortellement dangereux" de le laisser dans cet hôpital "non équipé" et "avec un diagnostic toujours pas fait", à Omsk, en Sibérie occidentale.
Selon elle, la décision des proches de l'opposant n'est pas suffisante pour déclencher son transfert pour être soigné à l'étranger, les médecins s'y refusant.
Le médecin-en-chef de l'hôpital, Alexandre Mourakhovski, a de son côté expliqué aux journalistes travailler sur cinq hypothèses pour le diagnostic et que les tests allaient se poursuivre pendant deux jours. Il a ajouté qu'il n'y a pas eu de complications durant la nuit et que l'état de santé de l'opposant s'était légèrement amélioré ce matin, mais qu'il était encore inconscient.
"En ce qui concerne son transfert (...) la question est prématurée. Il est nécessaire d'arriver à une stabilisation complète du patient", a-t-il affirmé.
Selon le médecin, l'hôpital doit régler "certaines questions juridiques" avant de laisser des médecins européens voir M. Navalny. Des spécialistes de Moscou sont arrivés durant la nuit pour l'examiner.
Le refus de transférer M. Navalny à l'étranger a été dénoncé par son bras droit Léonid Volkov comme une "décision politique et non pas médicale". "Ils attendent que les toxines sortent et cessent d'être détectables dans le corps. Il n'y a ni diagnostic, ni analyse. La vie d'Alexeï est en grand danger", a-t-il écrit sur Twitter.
Avion médicalisé
L'avion médicalisé affrété par l'ONG allemande Cinema for Peace, qui avait déjà réalisé une opération similaire avec un membre du groupe d'opposants Pussy Riot en 2018, est arrivé dans la matinée à Omsk, selon les médias locaux.
Le président français Emmanuel Macron, "extrêmement préoccupé", et la chancelière allemande Angela Merkel, "bouleversée", avaient demandé jeudi respectivement "clarté" et "transparence" sur l'état de M. Navalny.
Principal opposant au Kremlin, dont les publications dénonçant la corruption des élites russes sont abondamment partagées sur les réseaux sociaux, Alexeï Navalny a déjà été victime d'attaques physiques. En 2017, il avait été aspergé d'un produit antiseptique dans les yeux à la sortie de son bureau à Moscou.
En juillet 2019, tandis qu'il purgeait une courte peine de prison, il avait été traité à l'hôpital après avoir soudainement souffert d'abcès sur le haut du corps, dénonçant un empoisonnement alors que les autorités évoquaient une "réaction allergique".
Longue histoire d'empoisonnements
De nombreux adversaires du Kremlin ont été victimes ces dernières années d'empoisonnement, en Russie ou à l'étranger. Deux cas d'empoisonnement très médiatisés ont notamment eu lieu au Royaume-Uni en 2018 et 2006 sur des ex-agents secrets russes.
Plusieurs opposants russes qui ont également été hospitalisés ont dénoncé des empoisonnements ces dernières années. A chaque fois, les autorités russes ont démenti toute responsabilité.
En campagne ces derniers jours en faveur des candidats d'opposition pour les élections régionales de septembre, Alexeï Navalny s'était ainsi rendu dans plusieurs villes de Sibérie pour soutenir les candidats de l'opposition. Il a plusieurs fois été condamné à de courtes peines de prison, notamment en raison de l'organisation de manifestations. Son organisation et ses partisans font régulièrement l'objet de pressions, arrestations et poursuites judiciaires. Navalny s'était également prononcé en faveur des manifestants au Bélarus.
Le Kremlin a dit souhaiter à Alexeï Navalny, "comme à n'importe quel citoyen russe", un "prompt rétablissement", soulignant aussi que l'empoisonnement n'était jusqu'à présent qu'une "simple supposition".
Londres s'est dit "profondément préoccupé" par cette affaire tandis que l'UE a estimé que "les responsables" devraient "rendre des comptes".