BEYROUTH : Nichée entre Jezzine et la région du Chouf, à la lisière entre le Sud et le mont Liban, la vallée de Bisri est l’un des derniers joyaux naturels du Liban. Souhaitant conserver la biodiversité et l'identité de leur région, les habitants se sont opposés à un projet de barrage, en grande partie financé par le prêt de la Banque mondiale (BM), visant à alimenter en eau le Grand Beyrouth.
Eu égard à l'absence de garanties de l'État libanais pour remplir les conditions du prêt, la Banque mondiale, dans sa déclaration du 28 juillet 2020, a fixé le 4 septembre comme date butoir. La catastrophe du 4 août a-t-elle changé la donne ?
Le 11 août, soit une semaine après la terrible explosion de Beyrouth, le Mouvement écologique libanais a lancé un cri d'alarme face à cette tragédie, qui illustre à la fois la corruption de l'État libanais, et son incapacité à prendre en charge des projets importants tel que celui du barrage de Bisri, qui présente des risques écologiques et sismiques pour la région.
Prudence
Paul Abi Rashed, fondateur du Mouvement écologique libanais, a répondu aux questions d’Arab News. Un haut fonctionnaire libanais lui a révélé que la Banque mondiale faisait pression sur le ministère de l'Énergie pour mettre le projet à exécution. Cette information doit, d'après lui, conduire à la prudence et inciter à ne pas crier victoire trop tôt.
Abi Rashed invite la BM à comprendre que « le risque sismique peut détruire ce qui n'a pas été encore détruit au Liban », et que « le projet n'est pas légal car l'étude d'impact a une durée de deux ans, or, elle s'est terminée en 2016 ». Une question importante se pose pour l’ensemble des activistes et des habitants de la région : comment la BM accorde-t-elle encore un tel délai au gouvernement libanais alors que la catastrophe du port est la meilleure preuve qu'il n'est pas possible de leur accorder une quelconque confiance ?
Face à ces interrogations, la BM a déclaré à Arab News que « [sa] position sur le projet du barrage de Bisri a été énoncée dans [sa] déclaration du 28 juillet 2020. La Banque mondiale surveille la situation et annoncera sa décision en temps voulu. »
Manque de sérieux
Le Comité de suivi pour l'avenir de la vallée de Bisri met surtout en avant le manque de sérieux scientifique de la Banque mondiale. Raja Noujaim, activiste et spécialiste en contrôle de qualité au sein de ce comité, est très critique envers cette organisation internationale : « Scientifiquement, c’est un projet intrinsèquement corrompu, dans toutes ses étapes, y compris dans la phase de passation des contrats. »
Les études scientifiques et hydrauliques démontrent d'après Noujaim que le barrage ne peut pas alimenter en eau le Grand Beyrouth. Les conclusions de ces études auraient poussé Walid Joumblatt, ancien député du Chouf, à changer sa position. D'après l'activiste et avocat Rafik Ghraizi, le revirement de Joumblatt s'explique aussi électoralement, en particulier parce que sa base populaire est fortement opposée au projet.
Ghraizi nous indique aussi que la notion d’utilité public en droit libanais peut conduire la vallée de Bisri à devenir une réserve naturelle. C'est par ailleurs le souhait des municipalités des régions de Jezzine et du Chouf, exprimé dans leur communiqué du 8 juillet.
Il existe chez les activistes une idée qui fait consensus : le Liban, économiquement exsangue, et frappé par une terrible tragédie, ne peut se permettre de donner suite à un projet qui s’apparente à une « coquille vide » et qui risque de provoquer des catastrophes sur les plans écologique, social et économique. La communauté internationale, et notamment la BM, auront une lourde responsabilité le 4 septembre…