PARIS: Jean Castex persiste et signe. Au lendemain du refus du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) d'obtempérer à sa demande, le Premier ministre le saisit à nouveau d'éventuels manquements déontologiques d'un vice-procureur du parquet national financier (PNF).
«Prenant acte des observations du CSM», le Premier ministre a décidé «d'adresser une nouvelle saisine» au CSM visant le premier vice-procureur Patrice Amar, «sous les qualifications de manquements aux obligations déontologiques de loyauté, de prudence, de délicatesse et d'impartialité», a souligné Matignon dans un communiqué samedi soir.
Cette décision constitue un nouveau rebondissement de cette affaire après que le CSM s'est déclaré vendredi saisi de façon non valide par le Premier ministre puisque ce dernier ne lui dénonçait «pas de faits motivant des poursuites disciplinaires» et lui demandait de «réaliser des investigations» préalables sur ce magistrat, ce qui n'entre «pas dans ses attributions».
Le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti avait lancé en septembre une enquête administrative visant trois magistrats du PNF, dont son ex-cheffe Eliane Houlette et Patrice Amar, pour «vérifier si des manquements avaient été commis» lors des investigations destinées à identifier la «taupe» qui aurait pu informer Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog qu'ils étaient sur écoute dans une affaire de corruption. Tous deux ont depuis été condamnés à trois ans d'emprisonnement, dont un ferme et ont fait appel.
Le PNF avait été mis en cause pour avoir épluché les relevés téléphoniques détaillés («fadettes») de ténors du barreau, dont Eric Dupond-Moretti.
Le ministre de la Justice s'était ensuite déporté au profit du Premier ministre, à qui une enquête de l'Inspection générale de la Justice (IGJ) a été remise.
Le Premier ministre confirme sa décision de «porter à l'appréciation du CSM les faits imputables à M. Patrice Amar au titre des manquements aux devoirs liés à ses fonctions», indique le communiqué de Matignon.
Ces faits «tiennent aux accusations d'une particulière gravité portées par M. Amar à l'encontre de Mme Eliane Houlette, sa supérieure hiérarchique, dont certaines pénalement qualifiables, ont été formulées sans être étayées dans des termes outranciers et extrêmement attentatoires à sa personne», poursuit le texte.
«Je suis consterné par l'attitude du Premier ministre qui s'obstine à mettre en cause un procureur dont la probité et la compétence professionnelle sont indiscutables», a dénoncé l'avocat de M. Amar, François Saint-Pierre.
«Nous aviserons en temps utile de notre réplique et des actions judiciaires que nous aurons à entreprendre à son encontre», a-t-il menacé.
M. Castex avait annoncé une première fois fin mars saisir le CSM, organe indépendant, pour «des présomptions de fautes disciplinaires» concernant Mme Houlette.
Dans le cas de M. Amar, il avait estimé que «différents éléments» étaient «susceptibles de faire naître un doute sérieux quant au respect de ses obligations déontologiques».
«Méthodes de barbouzes»
Sa décision, à rebours des conclusions de l'IGJ qui n'avait trouvé «aucun manquement» à reprocher au magistrat, avait suscité les critiques.
Matignon avait fait savoir après l'annonce de la saisine qu'il avait toute confiance dans le CSM et qu'il respecterait ses avis.
«Cela ressemble fort à de l'acharnement», a dénoncé samedi soir l'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire). «Le plan derrière tout ça est de décrédibiliser le parquet national financier (PNF): comme on ne peut pas attaquer l'institution, on s'en prend à un de ses représentants», a déclaré son secrétaire général Ludovic Friat.
«C'est pitoyable, qu'à ce niveau de l'Etat, on soit obligé de ressaisir le CSM car la première saisine, un travail de gribouille, ne visait aucun grief», a-t-il ajouté.
«Grotesque», a pour sa part déploré Katia Dubreuil, présidente du Syndicat de la magistrature (SM, classé à gauche).
«Pour ce gouvernement, manifestement, il ne faut surtout pas dire que la "barbouzerie" dénoncée par Eric Dupond-Moretti était du vent et que la manoeuvre d'intimidation de la justice économique et financière éclate au grand jour», a-t-elle ajouté.
M. Dupond-Moretti notamment, s'était emporté contre des «méthodes de barbouzes» et avait déposé une plainte pour «atteinte à la vie privée», avant de la retirer le soir de sa nomination comme garde des Sceaux.
Les trois syndicats de magistrats accusent le ministre de conflit d'intérêt et ont porté plainte. Une enquête est en cours devant la Cour de justice de la République (CJR).