Musulmans de France: le marteau de la laïcité et l’enclume de la radicalisation

La charte sur l’islam est inconstitutionnelle, car elle contrevient au principe de neutralité de l’État, affirme Olivier Roy. Archive JEAN-PIERRE MULLER / AFP
La charte sur l’islam est inconstitutionnelle, car elle contrevient au principe de neutralité de l’État, affirme Olivier Roy. Archive JEAN-PIERRE MULLER / AFP
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Publié le Mardi 13 avril 2021

Musulmans de France: le marteau de la laïcité et l’enclume de la radicalisation

  • La pratique du religieux est actuellement en train d’être régulée, notamment avec la charte de l’islam, observe Olivier Roy, professeur à l'Institut universitaire européen de Florence
  • Depuis 2004 et l’adoption de la loi interdisant le port de signes religieux ostentatoires à l’école, c’est l’essence même de la loi de 1905 qui se trouve altérée

ATHENES : Loi sur les principes républicains, débat sur le voile remis au goût du jour au Sénat, islam radical… Autant de problématiques qui conduisent à une interrogation: est-il aujourd’hui possible d’être à la fois français et musulman?

Afin de tenter d’apporter une réponse à cette question, Arab News en français s’est entretenu avec Olivier Roy, professeur à l'Institut universitaire européen de Florence et auteur de l’ouvrage L'Europe est-elle chrétienne? aux éditions du Seuil.

D’emblée, ce spécialiste nous rappelle que, au début de son mandat présidentiel, Emmanuel Macron a clairement affirmé que «l’islam est une religion française».

Mais, dans la France de 2021, la réalité est autrement plus complexe. La laïcité telle qu’elle est garantie par la loi de 1905 est censée protéger à la fois la liberté de croyance et de pratique. Or, depuis 2004 et l’adoption de la loi interdisant le port de signes religieux ostentatoires à l’école, c’est l’essence même de la loi de 1905 qui se trouve altérée.

Une charte de l’islam «inconstitutionnelle»

Concrètement, la pratique du religieux est actuellement en train d’être régulée, notamment avec la charte de l’islam, note sur ce point Olivier Roy. Cette charte devrait être signée afin que soient établis les fondements du futur Conseil national des imams (CNI). De plus en plus, les mesures qui sont adoptées «sont contraignantes pour les musulmans», souligne Olivier Roy.

 

La charte sur l’islam est inconstitutionnelle, car elle contrevient au principe de neutralité de l’État.

Olivier Roy

Le politologue va même plus loin en affirmant que, selon lui, la charte de l’islam est un document qui n’a pas lieu d’être dans la mesure où il cite des versets du Coran, ce qui contrevient au principe de neutralité de l’État. Pour lui, ce document est purement et simplement «inconstitutionnel». Gérald Darmanin a été très clair lorsqu’il a expliqué la démarche du gouvernement, renchérit Olivier Roy: les autorités d’aujourd’hui agissent sur le modèle de l’ultimatum proposé en 1807 par l’empereur Napoléon aux juifs pour qu’ils soient reconnus comme citoyens français.

«Napoléon avait posé aux juifs des conditions théologiques. On est en train de refaire la même chose! Or, le problème, c’est que Napoléon était un empereur, donc un dictateur, et que le système de l’époque était concordataire. Aujourd’hui, nous sommes dans une République démocratique et laïque: il n’est pas possible de se servir d’un instrument de gestion du religieux qui est un instrument monarchique et concordataire. Il y a là un problème que personne, aucun grand juriste, n’a soulevé. La charte sur l’islam est inconstitutionnelle, car elle contrevient au principe de neutralité de l’État.» Olivier Roy ajoute: «On fabrique un islam français, et cela va à l’encontre des principes de laïcité et de non-ingérence.»

Déchristianisation et défiance du religieux

Entre 1905 et 2004, puis entre 2004 et 2021, il s’est donc opéré un glissement, et la loi de 1905 s’est peu à peu vidée de sa substance.

Lorsqu’elle fut votée, elle avait un seul objectif, simple: séparer l’État du religieux. Pendant longtemps, cette loi a rempli son rôle, mais, avec l’affaire dite «de Creil», en 1989 – des lycéennes ont refusé de retirer leur voile islamique dans leur école –, les autorités ont ressenti le besoin de «fabriquer une nouvelle laïcité» car la société française subissait depuis les années 1960 «une accentuation de sa sécularisation» qui eut pour conséquence le fait que toute manifestation du religieux était «perçue au mieux comme folklorique, au pire comme fanatique».

 

«À partir des années 1980, tout religieux visible devient suspect [et c’est avec le Premier ministre Pierre Bérégovoy que] la sonnette d’alarme de l’Islam est tirée pour la première fois en France, à la suite de l’affaire de Creil.»

Olivier Roy

Or, depuis 2004, «on met des limites à la pratique religieuse dans l’espace public», justement à cause de cette défiance qui existe par rapport au religieux, à cause de la déchristianisation de la France.

Le mythe de l’assimilation

Pour Olivier Roy, si l’Europe était «vraiment chrétienne», toutes ces complications n’existeraient pas. «Le positionnement par rapport à l’islam ne serait pas forcément positif, mais, au moins, les choses seraient claires» et «nous serions dans le cadre d’un système pluriconfessionnel, ce qui était le cas de l’Europe au XVIIe siècle.» Or, «à partir des années 1980, tout religieux visible devient suspect» et c’est avec le Premier ministre Pierre Bérégovoy que «la sonnette d’alarme de l’Islam est tirée pour la première fois en France, à la suite de l’affaire de Creil».

Le politologue rappelle que cette affaire a fait prendre conscience à la classe politique française, «mais surtout à la gauche, que la deuxième génération d’immigrés pouvait être musulmane, et cela était très loin du mythe de l’assimilation véhiculé jusque-là par la gauche». Et, face à l’intégration, la question qui se pose désormais est la suivante: peut-on s’intégrer en tant que musulman dans la société française? «Ces jeunes filles voilées» se revendiquent musulmanes dans l’espace public, «d’un islam global, universel». Elles veulent avoir leur place en France «en tant que musulmanes».

EN BREF Les lois qui ont pavé la voie à la loi 1901 sur la laïcité

1789

L’abolition de l’Ancien Régime en août  s’est accompagnée de la fin des privilèges ecclésiastiques et de l’affirmation de principes universels, dont la liberté de conscience et l’égalité des droits exprimés par la Déclaration des droits de l’homme

1904

Les congrégations religieuses n’ont plus le droit d’enseigner

L’avenir n’est pas sombre

«Aujourd’hui, il y a beaucoup de non-dits» dans la polémique actuelle sur l’islam en France, confie Olivier Roy. «Le débat sur la liberté religieuse cache aussi un problème d’exclusion sociale. Cela ne veut pas dire que la dimension religieuse de la problématique n’a pas d’importance. Les musulmans de France demandent à être reconnus comme tels, mais cela n’enlève rien à la dimension sociale du problème», ajoute-t-il.

Les musulmans de France semblent pris en tenaille entre une laïcité qui cherche de plus en plus à réguler l’exercice de leur foi et le spectre de la radicalisation islamiste. Une menace qui pèse sur les épaules de la majorité musulmane silencieuse et qui complique leur vie au quotidien.

Pour autant, l’avenir n’est pas sombre pour le politologue, convaincu que la nouvelle génération issue de l’immigration se perçoit comme française et qu’elle cherche à être perçue comme telle et non comme une espèce de corps étranger greffé à la République. Avec l’arrivée de La République en Marche, «il n’y a pas eu d’écrémage comme c’est le cas dans les partis politiques classiques» et des figures issues de l’immigration ont pu ainsi émerger. Il en est de même sur le plan municipal et dans les professions libérales. Il y a donc une élite issue de l’immigration qui est en train de faire son apparition. Cela, en soi, est assez prometteur pour l’avenir des musulmans français.

EN BREF Les musulmans de France ne constituent pas une communauté.

Pour Olivier Roy, les musulmans de France ne sont pas organisés en communauté. Le chercheur souligne qu’ils votent en fonction de leur catégorie socioprofessionnelle, sont morcelés et n’ont pas d’intelligentsia, à l’exception de quelques personnalités de premier plan. «Il n’y a donc pas de vote musulman, alors qu’il commence à y avoir, en France, un vote catholique à proprement parler», fait-il observer.

 


Laurent Wauquiez dépose une proposition de loi pour interdire le voile aux mineures

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  • Sa proposition vise à modifier la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public
  • Il apparaît toutefois peu probable que ce texte soit examiné avant deux mois : la journée annuelle réservée aux propositions du groupe LR n’est prévue que le 22 janvier

PARIS: Le chef des députés Les Républicains Laurent Wauquiez a déposé lundi une proposition de loi pour interdire aux mineures de porter le voile dans l'espace public, mais son examen rapide semble peu probable et sa constitutionnalité mise en doute par des juristes.

M. Wauquiez veut interdire "à tout parent d'imposer à sa fille mineure ou de l'autoriser à porter, dans l'espace public, une tenue destinée à dissimuler sa chevelure", selon l'article unique de sa proposition de loi.

Il s'appuie notamment sur un rapport sur les Frères musulmans commandé par le gouvernement et publié en mai dernier, relatant l'augmentation "massive et visible du nombre de petites filles portant le voile".

Il estime que "le voilement de jeunes filles" heurte les principes républicains "les plus fondamentaux", tels que la "protection de l'enfant", "la liberté de conscience" et "l'égalité entre les hommes et les femmes".

Sa proposition vise à modifier la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public.

Il apparaît toutefois peu probable que ce texte soit examiné avant deux mois : la journée annuelle réservée aux propositions du groupe LR n’est prévue que le 22 janvier.

En outre, des professeurs de droit public interrogés par l'AFP émettent de sérieuses réserves quant à la conformité avec la Constitution de cette proposition déjà formulée, tout en la circonscrivant aux moins de 15 ans, par le patron des députés macronistes Gabriel Attal en mai - même si celui-ci n'avait pas déposé de texte.

Pour la constitutionnaliste Anne-Charlène Bezzina, elle n'a "aucune chance d'être conforme", rappelant que la loi sur la dissimulation du visage que son texte vient modifier a un motif de "sécurité à l'ordre public" et ne "vise aucune religion en particulier".

Or, M. Wauquiez cible très clairement le voile islamique dans l'espace public, contrevenant "au principe de liberté de religion", ajoute l'enseignante.

Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l’Université de Lille, se dit également "très réservé".

Bien que le texte se heurte au principe de liberté religieuse, Laurent Wauquiez justifie sa démarche par la "préservation des droits de l’enfant", ce qui est "assez habile", reconnaît-il, mais insuffisant pour garantir sa conformité constitutionnelle.

Assimiler le port du voile par une mineure à "une forme d’asservissement" reste juridiquement fragile. "Incontestablement, une fillette de 9 ans pourrait le faire par mimétisme ou sous l'effet d’une instrumentalisation", observe-t-il. "Mais une adolescente de 16 ans peut davantage le porter par conviction personnelle."

Il rappelle par ailleurs que l’interdiction de dissimulation du visage est justifiée par des raisons de sécurité, avec la nécessité de pouvoir "identifier les personnes", un raisonnement difficilement transposable au fait de se couvrir la chevelure.


Quatre associations musulmanes portent plainte contre un sondage Ifop

Le recteur de la grande mosquée de Lyon, Kamel Kabtane, pose dans la grande mosquée de Lyon le 30 septembre 2025. (AFP)
Le recteur de la grande mosquée de Lyon, Kamel Kabtane, pose dans la grande mosquée de Lyon le 30 septembre 2025. (AFP)
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  • Les Conseils départementaux du culte musulman (CDCM) du Loiret, de l'Aube, des Bouches-du-Rhône et de Seine-et-Marne ont déposé plainte contre X auprès du tribunal judiciaire de Paris après la publication le 18 novembre du sondage Ifop
  • Les CDCM sont l'échelon départemental du Conseil français du culte musulman (CFCM), ex-instance de représentation de l'islam auprès des pouvoirs publics, tombée en disgrâce en 2021

PARIS: Quatre associations du culte musulman ont porté plainte lundi pour dénoncer le manque d'objectivité supposé d'un sondage Ifop sur le rapport des fidèles à l'islam, ont annoncé leurs avocats à l'AFP.

Les Conseils départementaux du culte musulman (CDCM) du Loiret, de l'Aube, des Bouches-du-Rhône et de Seine-et-Marne ont déposé plainte contre X auprès du tribunal judiciaire de Paris après la publication le 18 novembre du sondage Ifop "Etat des lieux du rapport à l'islam et à l'islamisme des musulmans de France".

Les CDCM sont l'échelon départemental du Conseil français du culte musulman (CFCM), ex-instance de représentation de l'islam auprès des pouvoirs publics, tombée en disgrâce en 2021.

Ce sondage "viole le principe d'objectivité posé par la loi du 19 juillet 1977 relative à la publication et la diffusion des sondages d'opinion", se "fonde sur des questions orientées" et se "focalise sur des résultats minoritaires mis en avant à des fins polémiques", accusent les avocats Mes Raphaël Kempf et Romain Ruiz, dans un communiqué.

Selon eux, le sondage distille "le poison de la haine dans l'espace public", renforçant "les amalgames".

Contacté par téléphone, François Kraus, directeur du pôle politique/actualités de l'Ifop, a indiqué qu'il répondrait à l'AFP par écrit, ce qu'il n'avait pas fait dans l'après-midi.

Le CFCM avait déjà dans un communiqué vendredi déploré "une nouvelle mise à l’index des citoyens français de confession musulmane et de leurs pratiques religieuses", avec des analyses et données "contestables".

L'enquête Ifop, basée sur un échantillon de 1.005 personnes de religion musulmane, a été commandée par le média confidentiel "Ecran de veille", qui se présente comme "le mensuel pour résister aux fanatismes".

L'attention médiatique et politique s'est beaucoup focalisée sur le sous-échantillon des 15-24 ans, constitué de 291 personnes, et révélant une forte pratique (87% se considèrent religieux, 67% disent prier "au moins une fois par jour", 83% font le ramadan)

François Kraus écrit dans sa conclusion sur le site de l'Ifop que "cette enquête dessine très nettement le portrait d'une population musulmane traversée par un processus de réislamisation, structurée autour de normes religieuses rigoristes et tentée de plus en plus par un projet politique islamiste".

Le sondage a provoqué de vives réactions, l'extrême droite y voyant un signe d'"islamisation", tandis que des représentants de la communauté musulmane ont regretté "une stigmatisation".

"A mal poser les questions, on finit toujours par fabriquer les peurs qu’on prétend mesurer", affirmait dans son billet hebdomadaire le recteur de la Grande mosquée de Paris Chems-eddine Hafiz.

Le politiste Haouès Seniguer qualifie pour sa part de raccourci "grossier et réducteur" l'idée, sous-jacente selon lui au sondage, qu'une observance stricte de l'islam soit la porte d'entrée mécanique vers l'islamisme.


Macron invité de RTL mardi matin

 Emmanuel Macron, en déplacement en Afrique en ce début de semaine, sera l'invité de RTL mardi matin à 07h35, a annoncé la radio lundi dans un communiqué. (AFP)
Emmanuel Macron, en déplacement en Afrique en ce début de semaine, sera l'invité de RTL mardi matin à 07h35, a annoncé la radio lundi dans un communiqué. (AFP)
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  • Après sa participation au G20 ce week-end à Johannesburg et une visite au Gabon, le chef de l'Etat Français a décollé lundi pour l'Angola, où il doit participer au sommet Union européenne-Union africaine
  • Emmanuel Macron se rendra notamment jeudi à Varces (Isère), sur un site de l'armée de terre, où il pourrait annoncer l'instauration d'un service militaire volontaire

PARIS: Emmanuel Macron, en déplacement en Afrique en ce début de semaine, sera l'invité de RTL mardi matin à 07h35, a annoncé la radio lundi dans un communiqué.

Le président de la République sera notamment interrogé sur la situation internationale, alors qu'une nouvelle réunion de la "coalition des volontaires" au soutien de l'Ukraine est prévue mardi en visioconférence.

Après sa participation au G20 ce week-end à Johannesburg et une visite au Gabon, le chef de l'Etat a décollé lundi pour l'Angola, où il doit participer au sommet Union européenne-Union africaine.

M. Macron sera aussi interrogé sur "les menaces qui pèsent sur la France", selon le communiqué de RTL.

Emmanuel Macron se rendra notamment jeudi à Varces (Isère), sur un site de l'armée de terre, où il pourrait annoncer l'instauration d'un service militaire volontaire.