Pourquoi les massacres du Myanmar font rougir le monde de honte

Des manifestants se défendent à l'aide de pistolets à air comprimé bricolées lors d'une manifestation contre le coup d'État militaire à Yangon, en Birmanie, le samedi 3 avril 2021. (AP)
Des manifestants se défendent à l'aide de pistolets à air comprimé bricolées lors d'une manifestation contre le coup d'État militaire à Yangon, en Birmanie, le samedi 3 avril 2021. (AP)
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Publié le Dimanche 04 avril 2021

Pourquoi les massacres du Myanmar font rougir le monde de honte

Pourquoi les massacres du Myanmar font rougir le monde de honte
  • Les événements survenus récemment en Birmanie viennent nous rappeler, de façon tragique, que la Responsabilité de protéger (R2P) est loin d'être un engagement universel
  • Les images bouleversantes prises dans les rues de Birmanie relatent l'histoire troublante de plus de 500 personnes massacrées par les forces de sécurité

En 2005, un climat de solidarité et d'optimisme régnait et laissait espérer le début du voyage vers l'éradication des atrocités. Cette année-là, des représentants de tous les États membres des Nations unies se sont réunis lors du Sommet mondial, considéré à l'époque comme le « plus grand rassemblement de dirigeants mondiaux de l'histoire ». Ils ont passé une résolution qui définissait les paramètres de la Responsabilité de protéger (R2P) les populations contre les génocides, les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et les nettoyages ethniques.

Au cours des années qui ont suivi, cet espoir a été sapé plus d’une fois, lorsque des atrocités ont été commises par quelques-uns des pays qui avaient pourtant soutenu cette résolution. D'autres ont gardé le silence ou ont réagi sans réelle conviction. Les événements survenus récemment en Birmanie viennent nous rappeler, de façon tragique, que la Responsabilité de protéger (R2P) est loin d'être un engagement universel contre les régimes brutaux tels que le régime militaire de Yangon, dirigé par le général Min Aung Hlaing, acteur du coup d'État contre le gouvernement élu en février dernier.

Les images bouleversantes prises dans les rues de Birmanie relatent l'histoire troublante de plus de 500 personnes massacrées par les forces de sécurité. Le week-end dernier, en une seule journée, plus de 100 personnes ont été assassinées aux mains de ceux qui devaient les protéger, et de nombreuses autres ont été blessées et arrêtées. Cette brutalité est particulièrement troublante compte tenu du caractère pacifique des manifestations. En effet, ce massacre, ces violences et ces arrestations lâches de personnes non armées constituent les exemples les plus clairs où la Responsabilité de protéger (R2P) doit être engagée. Ces manifestants protestaient légitimement contre le régime militaire qui a renversé le gouvernement ; ce dernier avait remporté une victoire écrasante en novembre dernier, au terme d’un processus démocratique.

Si nous en sommes arrivés là, c'est en grande partie en raison des échecs de la communauté internationale qui n’a pas réussi à tenir les militaires de la Birmanie responsables de leurs crimes, en particulier du génocide des Rohingyas en 2017

Yossi Mekelberg

Si la responsabilité de protéger (R2P) ne constitue pas une résolution contraignante, elle reste néanmoins un engagement ferme, découlant de plus d'un siècle d'évolution du droit international humanitaire. Celui-ci a été initié par les Conventions de Genève au milieu du XIXe siècle pour connaître un nouvel élan à la suite des horribles massacres et génocides perpétrés au cours de la Seconde Guerre mondiale. Il a donc établi de nouvelles normes internationales en réponse aux atrocités commises à l'égard des populations. Au terme de la Guerre froide, les conflits et les agressions entre États ont quelque peu perdu de leur intensité. Par contre, les agressions intra-étatiques et les guerres civiles ont gagné en importance et ont requis une riposte adéquate de la part de la communauté internationale et de ses organes représentatifs. Les atrocités commises en Somalie, en ex-Yougoslavie et au Rwanda ont révélé à quel point le monde était peu disposé à prévenir ou à contenir, et encore moins à éradiquer, les crimes collectifs contre l'humanité et les crimes de guerre commis contre des populations civiles innocentes. C'est l'ancien secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, qui a remis en question la viabilité de l'organisation si elle se montrait incapable de juguler de telles atrocités.

En outre, le sommet mondial de 2005 a insufflé élan et espoir à ceux qui croyaient que la communauté internationale avait bien appris sa leçon et qu'elle allait interdire aux despotes de perpétrer des crimes abominables contre leur peuple. Cet espoir a fini par s'évanouir dans le contexte des événements survenus en Syrie, au Sud-Soudan, en Centrafrique et face à l'oppression des musulmans ouïgours en Chine et des Rohingyas en Birmanie, entre autres. Certes, l'intervention réalisée en Libye en 2011 sous la bannière de la Responsabilité de protéger (R2P) a laissé un souvenir amer du changement de régime réalisé sous le couvert de l’intervention humanitaire. Cependant, dix ans plus tard, l’intervention en Libye ne peut guère justifier la passivité de la communauté internationale au moment où la Birmanie a cruellement besoin d'une telle action.

Les partisans de la démocratie qui manifestent en Birmanie sont tout à fait conscients que leurs chances de succès sont faibles sans intervention extérieure, compte tenu de la brutalité du régime militaire contre lequel ils luttent. Bon nombre d'entre eux brandissent des pancartes qui soulignent expressément la Responsabilité de protéger (R2P) et revêtues de bleu clair, couleur bien connue de l'emblème des Nations unies. Ces pancartes sont rédigées en anglais, langue peu répandue dans le pays, ce qui sous-entend que ces personnes supplient le monde de se réveiller avant qu'il ne soit trop tard. Face à une telle situation, la réaction doit être rapide et claire : les personnes impliquées dans cette répression brutale devront être désignées, elles devront faire l'objet de sanctions et d'une enquête de la Cour pénale internationale portant sur leurs crimes contre l'humanité.

Si nous en sommes arrivés là, c'est en grande partie en raison des échecs de la communauté internationale qui n’a pas réussi à tenir les militaires de la Birmanie responsables de leurs crimes, en particulier du génocide des Rohingyas en 2017. En outre, la transition du pays d'une dictature militaire à un gouvernement dirigé par des civils en 2011 a induit en erreur bon nombre de personnes. Ils pensaient que le pays allait dans la bonne direction et ont donc fermé les yeux sur le pouvoir immense des généraux, qui ont continué à commettre des atrocités que le gouvernement civil a refusé d'affronter.

La Responsabilité de protéger (R2P) ne signifie pas nécessairement une intervention militaire, une option pourtant plausible mais qui doit être laissée en dernier recours. En premier lieu, il convient que le Conseil de sécurité adopte une résolution vigoureuse, qui tiendrait la Chine pour responsable si elle y opposait son veto. Il incombe également aux puissances régionales telles que l'Inde, qui fait actuellement partie du Conseil de sécurité, de se prononcer ; chose qui n'a malheureusement pas été faite jusqu'à présent. En outre, plusieurs États ont déjà imposé des mesures disciplinaires contre le gouvernement militaire, à savoir l'Australie, le Canada, le Royaume-Uni et les États-Unis, ainsi que l'Union européenne et quelques grandes entreprises. Il est impératif de renforcer cette pression, et les événements qui secouent la Birmanie doivent unir la communauté internationale au lieu de la diviser, de manière à distinguer ce dossier du reste du monde.

Si la communauté internationale se montre inapte à agir d'urgence et avec détermination pour stopper les massacres et l'oppression en Birmanie et si elle ne contribue pas à rétablir le gouvernement légitime élu du pays, on pourra affirmer que la Responsabilité de protéger (R2P) est honteusement enterrée en Birmanie, tout comme des centaines de victimes innocentes dont le seul souhait était de vivre dans un pays libre et démocratique.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales à la Regent’s University de Londres, où il dirige le programme des relations internationales et des sciences sociales. Il est également membre associé du programme Mena à Chatham House. Il contribue régulièrement aux médias internationaux écrits et électroniques.

Twitter: @YMekelberg

NDLR: les opinions exprimées par les rédacteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com