PARIS : "Délaissement", "non-assistance" voire "homicide involontaire": plusieurs plaintes mettent en cause la gestion des malades de la Covid-19 par le Samu, dont les responsables justifient le "tri des patients" et se disent prêts à "rendre des comptes".
Dans la nuit du 7 au 8 septembre 2020, Patricia Urcel décède d'un arrêt cardio-respiratoire à 53 ans, quelques heures après avoir été hospitalisée.
Quelques jours auparavant, elle avait été testée positive à la Covid-19 et face à la dégradation de son état de santé, avait contacté le Service d'aide médicale urgente (Samu) qui lui avait enjoint de ne "surtout pas" aller aux urgences.
Le 7 septembre au matin, le médecin régulateur joint par téléphone avait estimé qu'elle n'avait pas de "symptômes de quelqu'un qui est en détresse respiratoire", quand le frère de Mme Urcel constatait en utilisant un oxymètre qu'elle présentait un taux de saturation en oxygène alarmant.
Ce n'est qu'au troisième appel de son fils, le 7 au soir, alors qu'elle ne respirait plus, qu'une équipe de secours avait été dépêchée à son domicile des Hauts-de-Seine et l'avait transportée dans un hôpital parisien.
"On s'interroge sur l'absence de décision du médecin régulateur", déclare Me Anaïs Mehiri, avocate du fils et des deux frères de Mme Urcel qui ont porté plainte lundi auprès du parquet de Nanterre, notamment pour "homicide involontaire" et "non-assistance à personne en péril".
Ce médecin "est pro-actif dans l'idée qu'il ne faut surtout rien faire", affirme l'avocate, qui prépare des plaintes pour une dizaine de cas similaires.
Au-delà d'éventuelles erreurs de régulation individuelles, l'avocate dénonce, dans une autre démarche en justice, l'impact qu'ont pu avoir des directives nationales sur l'organisation-même de cette régulation.
En juillet, elle a ainsi déposé une plainte collective à Paris, au nom de proches de douze personnes décédées de la Covid-19 en mars et avril 2020, notamment pour "délaissement ayant provoqué la mort".
Les plaignants reprochent au Samu d'avoir suivi des directives publiées par le ministère de la Santé en mars 2020 pour éviter de saturer les hôpitaux. Selon eux, cela a conduit à laisser des personnes souffrantes "jusqu'à ce qu'elles atteignent un état de santé critique".
Assurant qu'il ne s'agit pas d'une "plainte anti-médecins", Me Mehiri explique vouloir viser, "au-delà du Samu, les autorités administratives qui ont pris ces directives".
"Hystérie collective"
"Il y a un fantasme de directives secrètes qui auraient été données", en particulier "pour laisser les gens mourir dans les Ehpad", mais "c'est absolument faux", affirme François Braun, président du syndicat Samu-Urgences de France.
A la tête des urgences du CHR de Metz-Thionville et du Samu de Moselle, il assure que les soignant n'ont "pas modifié leur éthique" malgré les vagues épidémiques.
"La réalité pour tous les patients, c'est l'analyse du rapport bénéfice-risque", explique-t-il. "Une personne de 97 ans grabataire et dépendante va-t-elle bénéficier d'une réanimation? Certainement pas. Ce n'est pas une baguette magique."
Son service est cependant mis en cause par un homme de 41 ans, qui a porté plainte en octobre, notamment pour "violences involontaires", contre le Centre hospitalier régional de Metz, le Samu-57, la direction générale de la Santé et Santé publique France.
Atteint de la Covid en mars 2020, ce sidérurgiste a contacté à plusieurs reprises le 15, sans parvenir à être hospitalisé. Il ne le sera que quatre jours après avoir ressenti les premiers symptômes, et passera 15 jours dans le coma, intubé, avec un pronostic vital engagé.
Pour que ce ne soient pas que des "lampistes" qui paient, le plaignant a aussi saisi la Cour de justice de la République (CJR) contre le ministre de la Santé Olivier Véran et sa prédécesseure Agnès Buzyn. "Il est important qu'à l'occasion de cette crise sanitaire soit posée la question de la défaillance du système de santé publique", explique son avocat, Me Bertrand Mertz.
Mais pour les urgentistes, les faits incriminés relèvent de la routine: "Il y a une hystérie collective sur le tri des patients, mais le tri est à la base de la médecine d'urgence", résume le président de la Société française de médecine d'urgence (SFMU), Karim Tazarourte.
Chef des urgences de l'hôpital Edouard Herriot (Lyon) et du Samu du Rhône, M. Tazarourte estime "normal et même sain de rendre des comptes". Mais il l'assure: aucun de ses confrères "ne s'amuserait à laisser mourir des patients par défaut de soins".