ABIDJAN : L'acquittement définitif de l'ex-président ivoirien Laurent Gbagbo par la justice internationale devrait accélérer son retour à Abidjan après dix ans d'absence, maintes fois annoncé et repoussé, désormais attendu avec impatience par ses partisans.
Le dénouement heureux pour Laurent Gbagbo, accusé de crimes contre l'humanité, et son ancien ministre de la Jeunesse Charles Blé Goudé d'une longue procédure devant la Cour pénale internationale (CPI) a été salué avec enthousiasme par leurs partisans.
Pas d'immenses manifestations de joie dans les rues cependant : une cinquantaine de militants pro-Gbagbo, portant maillots et pagnes à son effigie, s'étaient rassemblés dans un « maquis » (restaurant populaire) du quartier de Yopougon à Abidjan, pour suivre en direct mercredi la retransmission de la décision de la CPI, qui a confirmé l'acquittement de l'ex-président prononcé en 2019.
« Je suis très émue, je suis fière, tout est fini », a déclaré Victorine Tiébesson, militante du parti créé par M. Gbagbo, le Front populaire ivoirien (FPI). « Il va nous revenir bientôt, c'est un chaînon manquant de la réconciliation en Côte d'Ivoire », a-t-elle affirmé.
Armand Ouégnin, président d'Ensemble pour la démocratie et la souveraineté (EDS, coalition de partis pro-Gbagbo emmenée par le FPI) et député de Yopougon, a estimé que « le président Laurent Gbagbo n'a jamais été un criminel ». « Il reviendra pour contribuer à la réconciliation nationale, il reviendra triomphalement dans son pays ».
« Décrispation »
L'ex-président du Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI, ancien parti unique devenu principale formation d'opposition), Henri Konan Bédié, ex-rival de M. Gbagbo avec qui il est désormais allié, s'est également réjoui.
« L'acquittement de ces deux personnalités et leur retour définitif en Côte d'Ivoire vont certainement contribuer à la décrispation de la vie politique nationale », a-t-il twitté.
Le parti au pouvoir, le Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), n'avait pas encore réagi jeudi.
Pour Issiaka Diaby, du Collectif des victimes de Côte d'Ivoire (CVCI), « c'est une décision qui consacre l'impunité, les victimes estiment qu'elles ont été le dindon d'une farce judiciaire ».
Au nom de la « réconciliation nationale », les autorités ont octroyé fin 2020 à Laurent Gbagbo deux passeports, un ordinaire et un diplomatique, et l'intéressé avait alors exprimé son souhait de rentrer dès décembre.
Ce retour, qu'il a ensuite annoncé pour « bientôt », restait suspendu à la décision de la CPI, mais il l'est aussi à un feu vert définitif du pouvoir.
Selon son épouse Simone, qui vit à Abidjan, « la balle est désormais dans le camp du gouvernement » pour le retour de son mari.
« Tendance à l'apaisement »
Les adversaires de Laurent Gbagbo estiment toujours qu'il a précipité son pays dans le chaos en refusant sa défaite face à Alassane Ouattara à la présidentielle de 2010. Plus de 3 000 personnes avaient été tuées dans les violences ayant suivi ce refus.
L'ancien président (2000-2010), arrêté en avril 2011 à Abidjan et transféré à La Haye en septembre de la même année, encourt toujours en Côte d'Ivoire une condamnation à 20 ans de prison pour le « braquage » de la Banque centrale des Etats d'Afrique de l'Ouest (BCEAO) lors de la crise de 2010-2011.
Cette condamnation n'a pas été levée et, théoriquement, Laurent Gbagbo pourrait être arrêté à son retour, ce qui irait à l'encontre de la volonté de « réconciliation nationale » affichée par le régime de M. Ouattara et ne manquerait pas de provoquer des manifestations potentiellement violentes.
L'ex-chef des Jeunes patriotes ivoiriens Charles Blé Goudé, lui aussi sous le coup d'une condamnation à 20 ans de prison par la justice ivoirienne pour « complicité de meurtre », a déclaré jeudi espérer « un geste » du pouvoir, « une amnistie ou une grâce », « pour que le président Laurent Gbagbo et moi nous puissions rentrer chez nous », dans une interview sur la chaîne France 24.
« Arrêter Laurent Gbagbo, l'envoyer à la Maca (Maison d'arrêt d'Abidjan) est difficilement envisageable », note l'analyste politique Sylvain N'Guessan qui ajoute: « Cela créerait des troubles, alors que la tendance est plutôt à l'apaisement des relations politiques depuis les législatives » du 6 mars.
Ce scrutin auquel le FPI de Gbagbo a participé - une première après dix ans de boycott électoral - s'est déroulé dans le calme et la victoire du parti au pouvoir n'a pas été contestée dans la rue. Une exception dans un pays plutôt habitué aux violences électorales ces dernières années.
Les députés pro-Gbagbo, dont son fils Michel, élu à Yopougon, ont d'ailleurs assisté jeudi à la rentrée solennelle de la nouvelle Assemblée nationale, dont le président Amadou Soumahoro, a salué « le retour de l'opposition dans le jeu démocratique ».