PARIS : Danse, musique, chant, théâtre... Le Théâtre de Verre, rare structure parisienne accueillant des dizaines d'artistes pour un prix modique dans un ex-lycée de Belleville, est sommé par la mairie de Paris de quitter les lieux sous trois mois, sans perspective de relogement et en pleine crise sanitaire.
Dans la salle donnant en long sur la cour, une vingtaine de jeunes femmes répètent une chorégraphie de hip-hop. Juste à côté, des comédiens entament leur échauffement dynamique. Au bout d'un couloir, un groupe de musiciens interprète "Sous l'océan", l'hymne joyeux de La petite Sirène. Un étage au dessus, on passe du cinéma à l'opéra, avec deux voix lyriques féminines qui transpercent les murs.
"Notre principe a été d'accueillir tout projet artistique, amateur comme professionnel", explique à l'AFP son directeur Luis Pasina, figure de la contre-culture parisienne depuis les années 1970. "C'est le seul endroit à Paris où il n'y a jamais de sélection", affirme-t-il.
Mais à bientôt 69 ans, cet Uruguayen d'origine dit ne plus dormir depuis que, fin janvier, la mairie de Paris, propriétaire des lieux, lui a annoncé mettre fin à la convention d'occupation temporaire qui les lie depuis 2015.
Issu de la mouvance des squats, le Théâtre de Verre, fondé en 1998 par l'association Co-Arter, accueille environ 500 artistes et compagnies, principalement à des fins de répétition, dans un bâtiment de 1.300 m2 d'un ancien lycée situé près de la place des Fêtes, dans le nord-est parisien. Son quatrième site en 20 ans, après avoir été successivement hébergé dans des friches des XIIe, Xe et XVIIIe arrondissements.
Le 4 mai, les huit salariés devront avoir quitté les lieux qui doivent être transformés en médiathèque et en maison des réfugiés.
Ce double projet reste la "priorité" assumée du maire PS du XIXe arrondissement François Dagnaud, qui ne souhaite plus que "le moindre grain de sable" vienne repousser encore les travaux.
Avec le soutien de la Mairie de Paris. "L'association était parfaitement informée dès le début que cette situation serait temporaire, les travaux devant être lancés en 2020 au plus tard, comme c'est le cas dans toutes les opérations d'urbanisme intercalaire, qui permettent à des associations ou à des collectifs de bénéficier d'espaces temporairement inoccupés pour développer leurs activités", explique à l'AFP l'adjointe PS à la culture Carine Rolland, qui souligne le caractère "gracieux" de l'occupation.
Artistes "dans la misère"
Luis Pasina évoque lui un loyer de 10.000 euros par an, une somme très modique pour Paris, comme les participations qu'il demande aux artistes: neuf euros par heure pour une salle de répétition, 15 pour la plus grande.
"Ce qui est génial au Théâtre de Verre, c'est que si je n'ai pas assez d'inscrits pour mes stages, j'appelle une semaine avant et je n'ai rien à payer", détaille la clown Carlotina Dupompom, 59 ans, venue manifester mercredi 10 mars devant l'Hôtel de Ville et qui dit avoir basculé "dans la misère" avec la crise sanitaire et et dénonce une décision "ignoble" de la mairie.
Carine Rolland explique elle que "plusieurs pistes ont été évoquées avec l'association, qui les a refusées", affirmant qu'elle "n'a pas participé aux appels à projets de la Ville". Elle souligne que l'entrée en vigueur de la loi Sapin 2, qui oblige à "mettre en concurrence toute mise à disposition de l'espace public lorsque l'usage qui en est fait est commercial", complique également la donne.
Moins de friches
Luis Pasina rétorque lui ne pas avoir été informé et n'avoir reçu qu'une seule proposition de relogement, inadaptée, dans un ancien supermarché.
Un lieu "effectivement très abîmé", admet François Dagnaud qui reconnaît la "responsabilité morale et politique" de la ville à "trouver des lieux pour que ce type de structures puisse continuer à fonctionner". Mais pour l'édile, le problème vient du fait que "les lieux intermédiaires disponibles" se font de plus en plus rares.
"C'est quand même censé être des socialistes à la mairie", peste la conseillère de Paris LFI Danielle Simonnet, qui demande à l'exécutif parisien de "suspendre l'expulsion" en attendant un relogement.
Interpellée aussi par les élus écologistes, communistes et de droite, Carine Rolland s'est engagée à "identifier toute opportunité pertinente" de relogement d'ici mai.
Mais pour Luis Pasina, "La mairie de Paris ne veut plus soutenir des mouvements populaires comme le nôtre. S'ils ne nous aident plus, c'est le retour à la case départ." C'est-à-dire le squat sans cadre légal.