PARIS : Avec l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche, le président français espère réussir son pari: redonner vie au dossier nucléaire iranien malmené par Donald Trump et différentes pratiques iraniennes. Mais l’accumulation de violations iraniennes ces derniers mois compliquent un retour à la table des négociations, et le maître de l’Elysée constate que sa diplomatie médiane fait face à une épreuve de taille. Il se trouve face à un dilemme cornélien, et le rôle que pourrait jouer la France dans ce dossier tumultueux semble un chemin semé d’embûches.
Pendant le mandat de Donald Trump, Emmanuel Macron et les Européens se sont retrouvés coincés entre le marteau américain et l’enclume iranienne.
La présidence française voulait profiter de la nouvelle donne outre-Atlantique pour faire une percée dans le dossier nucléaire iranien, une manière de faire fructifier ses inlassables efforts, entamés entre 2017 et 2020, et restés jusqu’ici sans succès. L’offre de médiation de Paris entre Washington et Téhéran n’a cependant pas été accueillie avec enthousiasme par les Américains et a été rejetée par les Iraniens.
Le président français a exprimé le souhait d'une relance de l'accord de 2015 sur le nucléaire iranien, mais il s’est aussi fait l’avocat d'un contrôle du programme de missiles balistiques de l'Iran, ce que Téhéran refuse catégoriquement.
Pendant le mandat de Donald Trump, Emmanuel Macron et les Européens se sont retrouvés coincés entre le marteau américain et l’enclume iranienne. Depuis l’arrivée au pouvoir de Joe Biden, le président français se heurte au chantage et à l’entêtement iraniens, et aux calculs américains. Malgré ces revers, M. Macron ne renonce pas: lors d'une conférence de presse à l'Elysée avec son homologue israélien Reuven Rivlin, il a déclaré que «l'Iran doit faire des gestes et se comporter de manière responsable pour éviter une aggravation de la situation au sujet de son programme nucléaire».
Le président français a exprimé le souhait d'une relance de l'accord de 2015 sur le nucléaire iranien, mais il s’est aussi fait l’avocat d'un contrôle du programme de missiles balistiques de l'Iran, ce que Téhéran refuse catégoriquement. Macron répète ce qu’il a demandé le 2 mars au président iranien Hassan Rohani: «des gestes clairs sans attendre» pour respecter ses obligations concernant l'inspection de ses installations nucléaires. De son côté, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a estimé que «la situation intérieure de l'Iran retarde la reprise des discussions sur le nucléaire», en raison des surenchères internes à la veille des élections présidentielles de juin prochain.
Le sort de l’accord, connu officiellement sous le nom de «Joint Comprehensive Plan of Action» (JCPOA), constituera un véritable test.
Ce fort intérêt français n’est pas surprenant. Rappelons que les différents gouvernements français successifs ont énormément investi dans le dossier iranien depuis 2003. Ainsi, le sort de l’accord, connu officiellement sous le nom de «Joint Comprehensive Plan of Action» (JCPOA), constituera un véritable test. L’approche privilégiée par l’équipe de M. Biden – autrement dit le retour de Téhéran à un respect strict de l’accord» pour que Washington réintègre l’accord, en «le renforçant, tout en combattant les autres activités déstabilisatrices de l’Iran» – satisfait globalement la France, qui est disposée à travailler avec Washington sur un nouvel accord ou un retour à l’accord de 2015 avec des modifications concernant les missiles balistiques et la sécurité régionale. C’est également l’objectif américain, comme l’a laissé entendre Robert Malley, l’envoyé spécial américain pour l’Iran, même si les approches de Paris et de Washington pour l’atteindre sont différentes.
La France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne veulent soumettre au conseil des gouverneurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) un texte appelant l’Iran à «reprendre immédiatement» l'ensemble du programme d'inspections prévu par l’accord sur le nucléaire iranien. Washington a demandé aux Européens de ne pas agir afin de ne pas envenimer la situation.
On observe de surcroît une différence d’appréciation entre les Européens et les États-Unis. Les premiers pensent que le programme nucléaire iranien entre dans une «phase délicate», avec la possible production d'une arme nucléaire dans un an (grâce à l’augmentation du niveau d’enrichissement de l’uranium, la mise en place de centrifugeuses développées et la production de l’uranium). Washington semble moins inquiet et ne croit ni aux capacités iraniennes ni à la volonté iranienne de défier l’Amérique.
Compte tenu de priorités intérieures de l’administration Biden et de la situation interne iranienne, Macron et les Européens semblent condamnés à attendre l’issue du «tango» américano-iranien qui pourrait échouer ou ne débuter que cet été.
Une source européenne redoute des manœuvres en coulisses entre Washington et Téhéran, comme l’atteste la récente déclaration de Mohammed Ghalibaf, le président du Parlement iranien, qui a reconnu que «la législation adoptée par le Parlement en décembre dernier, prévoyant l’élargissement de l’enrichissement de l’uranium, et l’obstruction des opérations d’inspection internationale, n’a été qu’une carte de chantage pour acquérir plus d’influence avant les négociations avec l’administration Biden».
Compte tenu de priorités intérieures de l’administration Biden et de la situation interne iranienne, Macron et les Européens semblent condamnés à attendre l’issue du «tango» américano-iranien qui pourrait échouer ou ne débuter que cet été ou plus tard cette année. Entre-temps, Macron cherche à rétablir et à renforcer les liens français avec les pays arabes du Golfe, notamment l’Arabie saoudite. Il compte se rendre prochainement à Riyad, Abu Dhabi et Doha.
Paris, dans un jeu d’équilibrisme permanent, insiste sur la primauté de la stabilité régionale et compte multiplier les pressions sur Téhéran pour faire évoluer sa position. Pour le président français, le Moyen–Orient, le Golfe, le Maghreb et le Sahel forment l’un des axes prioritaires pour l’action de la France. Incontestablement pour Emmanuel Macron, la politique moyen-orientale représente un grand enjeu. Mais elle est aussi un test à l’échelle globale pour une possible percée de l’influence française malgré les grands obstacles qu’elle rencontre.
Politiquement parlant, l'ancienne «Perse» était une sphère d’influence russo-allemande-anglo-saxonne, et la France y jouait un rôle peu important. Cependant, les relations contemporaines franco-iraniennes se sont intensifiées avec le programme nucléaire dès l’époque du chah et se sont compliquées pendant son règne. Emmanuel Macron tente de les relancer et de le renforcer par le biais d’un long processus de médiation sur le dossier nucléaire. Paris craint une diffusion plus large des armes de destruction massive dans une région instable et rejette les politiques régionales expansionnistes. Sans aucun doute, le projet iranien d'expansion vers la Méditerranée est sous le microscope français, car il s'agit d'un projet de conflit ouvert dans la région. Les décideurs français considèrent qu’il faut saisir à tout prix le post-accord de 2015 pour prendre une part du «gâteau iranien». Peine perdue pour le moment… Malgré tous les efforts côté français, le cercle vicieux dans lequel les relations franco-iraniennes sont prises au piège se poursuit jusqu’à nouvel ordre.