PRAGUE: Le vaccin russe Spoutnik V a semé la division entre les anciens pays du bloc de l'Est autrefois dépendants de Moscou, certains d'entre eux le considérant comme un don du ciel, d'autres comme un outil de propagande du Kremlin.
Le vaccin, dont l'efficacité s'élève à 91,6%, selon une étude récente, est déjà utilisé dans plusieurs pays dans le monde, mais n'a pas encore été approuvé par l'Agence européenne des médicaments (EMA).
Malgré cela certains anciens pays communistes, membres de l'UE, envisagent de l'utiliser.
Selon des analystes, une telle situation profite à la Russie et à ses efforts pour semer le désordre dans la région sur laquelle elle a régné en maître il y a plus de trois décennies.
« Il est très clair que le Spoutnik V est devenu un outil d'influence douce pour la Russie », a déclaré Michal Baranowski du German Marshall Fund.
Selon Baranowski, qui dirige le bureau du Fonds à Varsovie, l'objectif politique « est de diviser l'Occident ».
La Slovaquie qui s'est trouvée confrontée à une crise gouvernementale quelques jours après avoir reçu son premier lot de Spoutnik V le 1er mars en est un exemple parfait.
Alors que le Premier ministre Igor Matovic a salué la livraison de Spoutnik, soulignant que la « Covid-19 ne sait rien de la géopolitique », le ministre des Affaires étrangères Ivan Korcok a qualifié le vaccin « d'outil de guerre hybride ».
« Aider mon pays »
Durement affectés par la 3e vague de la pandémie, les anciens satellites de l'URSS ont commencé à lorgner vers l'Est suite aux retards pris par les livraisons européennes de vaccins.
La Slovaquie et sa voisine, la République tchèque, enregistrent les pires taux de mortalité par habitant au monde depuis des semaines, selon des statistiques basées sur des données officielles, et leurs hôpitaux sont pleins.
En février, le président tchèque Milos Zeman, connu pour ses sympathies pro-russes et pro-chinoises, a demandé à Vladimir Poutine un approvisionnement en Spoutnik.
« Je pense que je vais aider mon pays de cette façon », a-t-il déclaré.
Lorsque le ministre tchèque de la Santé a refusé d'accepter un vaccin sans l'aval de l'EMA, Zeman a demandé sa démission.
$Le Kremlin « se frotte les mains »
« L'utilisation potentielle du Spoutnik V en République tchèque est devenue une arme purement politique », a déclaré l'analyste Jiri Pehe, qualifiant le vaccin « d'outil de lutte politique et de propagande ».
Selon lui, la Russie avait des problèmes pour produire suffisamment de vaccins pour satisfaire ses propres besoins. Il pointe aussi des doutes sur les conditions dans lesquelles le vaccin est produit.
« Si Vladimir Poutine faisait vraiment confiance au vaccin, il serait le premier à en recevoir un en grande pompe, mais il l'évite », a-t-il dit.
Selon Pavel Havlicek, analyste à l'Association pour les affaires internationales basée à Prague, « la diplomatie des vaccins de la Russie cherche clairement à saper la confiance mutuelle et la cohésion en Europe ».
Le Kremlin « se frotte les mains », a-t-il déclaré.
« Très basse confiance »
Le premier et jusqu'à présent le seul pays de l'UE utilisant réellement le Spoutnik V est la Hongrie, dont le ministre des Affaires étrangères Peter Szijjarto s'est lui-même fait administrer une dose pour convaincre ses compatriotes.
Le Premier ministre Viktor Orban, qui entretient également des liens étroits avec Vladimir Poutine, a reçu quant à lui le vaccin chinois Sinopharm, que la Hongrie a également commencé à utiliser en tant que premier pays de l'UE le mois dernier.
Ailleurs dans l'Europe postcommuniste, la Serbie, en utilisant à la fois Spoutnik et Sinopharm, est devenue l'un des pays les plus rapides au monde à vacciner sa population, tandis que l'Albanie envisage d'entamer des discussions en vue de l'approvisionnement des deux vaccins.
La Bulgarie, la Croatie, l'Estonie, la Lettonie et la Roumanie, membres de l'UE, attendent à leur tour l'approbation de l'EMA pour Spoutnik, tandis que la Lituanie a exclu son utilisation.
La Pologne, le plus grand ancien membre communiste de l'UE, affiche un net « niet » à Spoutnik.
« La Russie a très clairement planté le drapeau russe sur le vaccin Spoutnik V (...) et en Pologne, quelque chose qui porte un drapeau russe ne sera pas reçu à bras ouverts », a déclaré Baranowski.