DAKAR : Le Sénégal a traversé depuis une semaine sa pire crise depuis près de 10 ans. Voici les causes, les acteurs et les perspectives possibles de ces troubles qui ont jeté des milliers de jeunes dans les rues et fait au moins cinq morts.
L'accusation de viols
Début février, la presse révèle qu'une jeune masseuse de 20 ans employée par un salon de beauté, Adji Sarr, a porté plainte pour «viols» et «menaces de mort» contre le député Ousmane Sonko, figure de proue de l'opposition au président Macky Sall.
Le parlementaire, troisième de la présidentielle de 2019, réfute ces accusations et crie au complot pour l'empêcher de se présenter au scrutin de 2024. Le député de 46 ans refuse de se rendre à une convocation de la gendarmerie et des heurts éclatent le 8 février devant son domicile.
Plusieurs dizaines de partisans d'Ousmane Sonko sont arrêtés. Le député voit son immunité levée.
Le 3 mars, lorsqu'il prend le chemin du tribunal, son convoi est stoppé par une foule de partisans, puis par la gendarmerie. Le député est placé en garde à vue pour «troubles à l'ordre public et participation à une manifestation non autorisée».
Les violences
Son arrestation déclenche plusieurs jours d'affrontements entre jeunes et forces de l'ordre. Les scènes de guérilla urbaine font au moins cinq morts, même si la presse locale avance des chiffres plus élevés, difficilement vérifiables. De nombreux intérêts français (Auchan, Total, Eiffage...) sont incendiés et pillés.
Dakar est placée sous la protection de blindés de l'armée, les écoles et de nombreux commerces sont fermés. Lundi, le juge inculpe Ousmane Sonko dans l'affaire de viols, et ordonne qu'il soit relâché sous contrôle judiciaire.
Le Sénégal a connu des accès de violence politique ces derniers mois: un mort lors de la présidentielle de 2019, incidents lors de protestations contre le couvre-feu mi-2020.
Mais pour un bilan d'un tel ordre, il faut remonter à la présidentielle de 2012 et la victoire de Macky Sall sur le sortant Abdoulaye Wade, qui se présentait pour un troisième mandat controversé. Manifestations et violences avaient fait entre six et 15 morts, selon les sources.
Les causes profondes
De nombreux Sénégalais, parmi les manifestants comme chez les observateurs, affirment que l'arrestation d'Ousmane Sonko est le révélateur d'un malaise bien plus profond dans un pays considéré comme un îlot démocratique en Afrique de l'Ouest.
Beaucoup reprochent à Macky Sall des atteintes aux libertés et l'accusent de diriger le pays au profit d'une élite, composée notamment de ses proches, au détriment de l'immense majorité de la population dont les conditions de vie déjà précaires ont été aggravées par le Covid-19.
A cause de la pandémie, la croissance économique jusqu'alors soutenue est devenue atone et de nombreux secteurs, du tourisme à la pêche, sont en grandes difficultés. Le couvre-feu et les restrictions aux déplacements et aux rassemblements affectent durement cette grande majorité de la population active dans le secteur dit informel, des marchands de rue aux ouvriers du bâtiment en passant par les chauffeurs.
Les acteurs
A 59 ans, Macky Sall, élu en 2012 et réélu en 2019, maintient le flou sur l'éventualité d'une candidature à un troisième mandat en 2024, malgré la limite de deux, instaurée après une révision constitutionnelle approuvée en 2016.
Il est un dirigeant écouté de la communauté internationale, sur la dette ou la crise au Sahel. Mais les démêlés d'Ousmane Sonko ont suscité des parallèles suspicieux à son encontre sur ceux connus par Karim Wade et Khalifa Sall, tous deux frappés par des condamnations pour des malversations financières et empêchés de se présenter à la présidentielle de 2019 contre Macky Sall.
Après un mois de crise, Ousmane Sonko se pose plus que jamais en premier opposant. Il devra gérer les suites judiciaires et faire face à ceux qui pensent que cet épisode a fait plus de tort que de bien au pays.
Quelle sortie ?
L'incertitude est totale sur l'effet qu'aura la libération d'Ousmane Sonko. Les manifestations, largement spontanées, ont certes eu pour mot d'ordre cette libération. Mais le président est pressé de toutes parts de répondre à d'autres aspirations: celles d'une population éprouvée par les effets de la pandémie et d'une jeunesse nombreuse en mal d'emplois et de perspectives.
Le gouvernement a fait miroiter un allègement du couvre-feu. Après des jours de silence, la parole présidentielle est réclamée.
Les chefs religieux, et surtout ceux des confréries à l'influence considérable sur le pouvoir et la société, ont rencontré le chef de l'Etat. M. Sall «nous a écoutés et nous attendons ses décisions», a dit en leur nom le dignitaire Serigne Mansour Sy.