MONTREUIL : Lassana Camara regarde autour de lui, dans le hangar insalubre de la banlieue parisienne qu'il squatte avec 250 autres immigrés clandestins, essentiellement Maliens. Un enchevêtrement de lits superposés, l'odeur du repas préparé à même le sol. Sa voix s'enroue: "On vit comme des chiens!"
Le Malien de 36 ans et ses compagnons d'infortune se préparent à une nouvelle épreuve, deux ans après avoir quitté l'emblématique foyer Bara, dans la même ville de Montreuil, commune de la banlieue est de Paris, qui abrite la première communauté malienne en Europe.
Vendredi, le tribunal doit statuer sur l'expulsion des occupants de ce local, investi fin 2019 par une partie des anciens membres - non relogés car en situation irrégulière - d'un emblématique foyer de travailleurs maliens, Bara, né en 1968 et qui venait d'être démantelé.
Après plus d'un an dans ce lieu transpercé par la pluie et le froid, rafistolé çà et là avec des bouts de cartons, où 250 à 300 personnes se partagent six toilettes et douches installées à l'extérieur, sans eau chaude et souvent sans électricité, Lassana Camara craint de retrouver la rue.
"On n'a pas le choix. Pourtant, tout ce dont on a besoin, c'est de papiers. Sans ça, pas de travail, pas de salaire, impossible de payer notre propre loyer", explique-t-il à l'AFP, devant un frigo sur lequel est inscrit au feutre rouge "Merci de ne tousser! (sic)".
"On ne mérite pas ça, on est des êtres humains. Un seul lavabo pour tout le monde... Ici on nous maintient juste en vie. Mais si on nous demande de partir, on va lutter pour nos droits", abonde Kandé Touré, 44 ans, un responsable de l'association "Les Baras du 138 Montreuil".
Responsabilité de l'Etat
Au vu des conditions de vie dans ce hangar, où les lits à quelques centimètres les uns des autres sont recouverts de couches de vêtements et de sacs, "il faut qu'ils soient expulsés, ça ne doit pas durer plus longtemps", convient Florent Guéguen, directeur général de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS).
"Mais il ne peut pas y avoir d'expulsion sans proposition d'hébergement, qui doit être inconditionnelle, c'est la loi", poursuit-il.
En Seine-Saint-Denis, "la préfecture a un problème avec l'hébergement des personnes sans titre de séjour, une doctrine qui conduit à transférer la responsabilité aux collectivités locales", estime celui qui est par ailleurs élu à Montreuil. Selon lui, la commune investit "400.000 euros par an" pour ce squat.
En pleine pandémie et trêve hivernale, il faut trouver des places d'hébergement, faute de quoi "on va immédiatement avoir la reconstitution d'un campement en pleine ville", prévient Florent Guéguen.
Cette prise en charge est "la responsabilité de l'Etat, qui s'est complètement désengagé", regrette Halima Menhoudj, adjointe au maire de Montreuil, en charge du dossier.
"On est prêts à prendre notre part" et cofinancer des solutions pour sortir ces personnes des "conditions indignes", poursuit-elle. "Mais pour l'instant, on n'a aucune réponse."
"Honte"
Dans le squat, Kandé Touré s'insurge: "C'est la mairie qui nous a indiqué ce lieu".
"Maintenant, on espère avoir le même traitement que les autres" et avoir un toit, explique cet ancien membre du foyer Bara depuis 2001, qui a perdu son emploi avec la crise sanitaire après "17 ans de travail dans la restauration".
Il lui semble lointain, le temps où les présidents maliens venaient visiter le foyer Bara, symbole de l'implantation de la diaspora dans l'ancienne puissance coloniale, détruit en 2018 pour être reconverti en résidences sociales.
Aujourd'hui, peste un autre ancien, gobelet "Montreuil paradise" en main, "on est la honte de la nation".
Boubou Sylla, 25 ans et look branché, a vécu avec son père au foyer avant de se retrouver dans ce hangar, où il dort à l'abri d'un sac poubelle.
En ce mercredi après-midi, il vient d'apprendre la possible expulsion. Il se rassoit, dans un couloir où un autre jeune se fait tondre les cheveux, serviette blanche sur les épaules.
"Ca fait mal au cœur, parce qu'on ne veut de mal à personne. On veut juste avoir des papiers, travailler, payer des impôts. Alors que là, on va être à la rue, mais on va devoir travailler quand même. Il faut bien que des gens livrent les repas, non ?"