RANGOUN : Dès l'aube, ils sont nombreux à faire la queue devant leur agence bancaire à Rangoun dans l'espoir de pouvoir retirer leurs économies, alors qu'une limite stricte sur les retraits a été imposée, alimentant les rumeurs d'une pénurie d'argent après le coup d'Etat en Birmanie.
Myawaddy Bank, contrôlée par l'armée birmane de nouveau au pouvoir depuis le 1er février après avoir destitué la cheffe civile du gouvernement Aung San Suu Kyi, fait l'objet d'une menace de boycott par les Birmans.
Lors des manifestations massives de ces derniers jours, des appels aux employés des banques ont été lancés leur demandant de cesser le travail.
De fait, l'essentiel des banques, y compris privées, sont restées fermées depuis de nombreux jours, leur employés ayant rejoint le mouvement de désobéissance civile. Une situation qui devient tendue à l'approche du jour de paie en Birmanie ce vendredi.
Seules quelques agences de banques publiques restent ouvertes à Rangoun, permettant de retirer de l'argent mais de manière très limitée.
A cause de cette incertitude, Tun Naing, un homme d'affaires de 43 ans, fait tous les jours la queue devant la Myawaddy Bank. "A cause des rumeurs sur cette banque, je suis venu retirer mon argent", environ 4.500 dollars, a-t-il déclaré.
"Risque politique élevé"
Sixième plus grosse banque du pays, Myawaddy n'autorise que 200 clients par agence à effectuer des retraits limités à 500.000 kyats par jour, soit environ 370 dollars.
Obtenir une place dès le matin est crucial, "certaines personnes séjournent dans des hôtels à proximité pour faire la queue tôt pour les jetons", raconte Tun Naing.
D'autres n'ont pas cette chance.
Myint Myint, professeur à la retraite de 64 ans, fait la queue tous les jours depuis une semaine mais n'a toujours pas été en mesure de faire un retrait.
"J'en ai vraiment marre", a-t-il déclaré. "Ils devraient annoncer à travers (les médias d'Etat) que notre argent est en sécurité... Bien que mes économies ne soient pas énormes, je m'inquiète à cause des rumeurs".
Un avis publié dans l'organe officiel "New Light of Myanmar" affirme pourtant que les services quotidiens sont toujours assurés par les banques. "La population est invitée à participer à ce processus pour assurer la stabilité économique du pays", lit-on dans l'avis émis par la Banque centrale.
L'économie birmane était déjà confrontée avant le coup d'Etat à des vents contraires liés au coronavirus et aux mesures de confinement.
Désormais, les généraux sont frappés de sanctions par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada et l'Union européenne, et l'économie dans son ensemble risque également de subir une baisse des investissements étrangers, réticents à travailler avec la dictature.
L'agence de notation Fitch a rapidement révisé à la baisse les estimations de croissance pour 2021 de 5,6% à 2%, citant "des risques politiques élevés".
Une pause potentielle sur les entrées de devises étrangères a sonné l'alarme pour l'ONG Justice for Myanmar, qui affirme que les généraux pourraient commencer à puiser dans les réserves de la banque centrale birmane, d'une valeur de 6,7 milliards de dollars.
Jusqu'à présent, les sanctions américaines ont inclus un gel de leurs avoirs de 1 milliard de dollars.
"Si les banques étrangères continuent à faire des affaires avec ces banques sous contrôle militaire, elles seront complices du régime militaire", dit Justice for Myanmar.
"J'ai déjà assez de difficultés comme ça"
Sur le terrain, les inquiétudes sont plus immédiates: les entreprises pourront-elles payer leurs employés à la fin du mois, les personnes âgées pourront-elles toucher leur pension?
Les manifestations ne semblent pas faiblir avec des dizaines de milliers de personnes chaque jour dans la rue.
Aye Aye, 85 ans, hésite pour le moment à retirer sa pension jusqu'à ce que la situation se calme.
"J'irai le chercher le mois prochain", a-t-elle dit, même si elle aurait bien besoin de cet argent pour vivre. "J'ai déjà assez de difficultés comme ça. Comme je suis âgée, je ne m'inquiète que pour aujourd'hui".
Mardi devant une agence de la Myawaddy Bank, un agent de sécurité a tenté de calmer seul une petite foule réclamant de retirer leurs économies.
Il leur a expliqué que les entreprises avaient la priorité pour retirer de l'argent afin de pouvoir payer leurs salariés.
"Nous reprendrons les retraits d'espèces une fois que ces entreprises" auront effectué leurs retraits, a-t-il annoncé aux portes de la banque, empêchant les clients d'entrer.