RANGOUN : La Birmanie se prépare dimanche aux funérailles de la première victime de la répression militaire, une épicière de 20 ans devenue une icône de la résistance anti-junte, au lendemain des violences les plus meurtrières depuis le coup d'Etat avec deux manifestants tués par les forces de l'ordre.
Près de trois semaines après le putsch du 1er février, la mobilisation pro-démocratie ne faiblit pas des grandes villes aux villages reculés du pays.
Face à cela, malgré le concert de protestations internationales, l'armée ne cesse d'accentuer la pression, avec de plus en plus d'incidents rapportés ces derniers jours.
Samedi, les tensions se sont rapidement intensifiées à Mandalay (centre) entre la police et des protestataires anti-junte dont des ouvriers en grève d'un chantier naval.
Craignant des arrestations d'employés du chantier, certains manifestants ont lancé des projectiles sur les forces de l'ordre qui ont tiré.
"Deux personnes sont mortes, dont un mineur qui a reçu une balle dans la tête et une trentaine ont été blessées, a indiqué Hlaing Min Oo, chef d'une équipe de secouristes volontaires.
Selon lui, "la moitié des victimes ont été visées par des tirs à balles réelles", les autres ont été blessées par des munitions en caoutchouc et des tirs de lance-pierres.
Les tirs à balles réelles ont également été confirmés par des médecins travaillant sur le terrain, sous couvert d'anonymat par crainte de représailles.
"Ils ont frappé et tiré sur mon mari et sur d'autres", a affirmé à l'AFP une habitante en pleurs. "Il ne faisait que regarder, mais les soldats l'ont emmené".
Plus d'une dizaine de personnes ont été interpellées, d'après des médias locaux.
Sollicitée, la police n'a pu être joint pour commenter ces informations.
"Stop terrorisme"
Le pays s'est réveillé sous le choc. "Où est la justice?", "Stop terrorisme", "Combien de vies doivent être prises avant que le monde réagisse?", pouvait-on lire sur les réseaux sociaux.
Les funérailles de la jeune épicière Mya Thwate Thwate Khaing, blessée par balles le 9 février et décédée vendredi, sont prévues ce dimanche.
Des hommages ont débuté la veille à Rangoun, la capitale économique, des manifestants déposant des roses blanches et rouges devant son portrait avec de petits messages: "Tu es notre martyre", "Nous ne t'oublierons pas".
La junte a fait état de son côté du décès en début de semaine d'un policier.
Cette escalade de la violence a provoqué de nouvelles condamnations internationales.
"L'usage de la force meurtrière, de l'intimidation et du harcèlement contre des manifestants pacifiques est inacceptable", a tweeté dans la nuit de samedi à dimanche le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres.
Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a appelé "l'armée et les forces de l'ordre à mettre immédiatement fin aux violences contre les civils", indiquant que l'Union européenne allait "prendre les décisions appropriées".
Les ministres des Affaires étrangères de l'UE doivent se réunir lundi pour discuter d'éventuelles sanctions.
Sanctionner les conglomérats?
Des mesures coercitives visant uniquement certains généraux - comme c'est le cas de celles annoncées par les Etats-Unis, le Canada et le Royaume-Uni - ne suffiront pas, ont averti plusieurs ONG, exhortant à cibler aussi les puissants conglomérats contrôlés par les militaires.
Pékin et Moscou, alliés traditionnels de l'armée birmane aux Nations Unies, considèrent, eux, la crise comme "une affaire intérieure" au pays.
La junte fait fi des condamnations. Les vagues d'arrestations de responsables politiques, d'activistes ou de grévistes se poursuivent. Près de 570 personnes ont été interpellées depuis le 1er février, et seules une quarantaine relâchées, d'après une ONG d’assistance aux prisonniers politiques.
Les connexions internet ont été coupées pour la septième nuit consécutive, avant d'être restaurées dans la matinée.
La peur des représailles est très forte en Birmanie où les derniers soulèvements populaires de 1988 et 2007 ont été réprimés dans le sang par l'armée.
Malgré cela, parallèlement aux manifestations de rues, les appels à la désobéissance civile se poursuivent avec des médecins, enseignants, contrôleurs aériens ou cheminots toujours en grève.
Les protestataires réclament l'abolition de la Constitution très favorable aux militaires, le retour du gouvernement civil et la libération des détenus, dont Aung San Suu Kyi, 75 ans.
L'ex-dirigeante, tenue au secret depuis son arrestation, est inculpée pour des motifs non politiques, accusée d'avoir importé "illégalement" des talkie-walkies et d'avoir violé une loi sur la gestion des catastrophes naturelles. Une audience est prévue le 1er mars.
Les militaires ont justifié leur coup d'Etat en invoquant des fraudes aux législatives de novembre, remportées massivement par le parti de la prix Nobel de la paix. Ils ont promis de nouvelles élections.