MARSEILLE: Au Marché d'intérêt national de Marseille, une association récupère fruits et légumes invendus puis les transforme sur place en soupes, compotes ou surgelés destinés à l'aide alimentaire et à la vente. Une initiative antigaspillage et solidaire parmi les plus abouties en France.
Fin de matinée sur le vaste marché de gros où s'écoule une partie de la production agricole des Bouches-du-Rhône, un des premiers départements producteurs de fruits et légumes dans le pays. Au bout d'une allée, le directeur de l'atelier de transformation, Dro Kilndjian, examine les citrons qu'un grossiste vient de donner.
Un sur deux est à jeter. Dans les locaux de la «légumerie» de l'association Fruits et légumes solidarité, du jus de clémentine tourne dans une machine à stérilisation. Sur les étagères, s'alignent des bocaux de soupe aux légumes d'hiver, de confitures de mûres et de kiwi-pamplemousse où le kiwi semble un peu trop dominant.
Depuis l'ouverture de l'atelier début décembre, les six employés de Fruits et légumes Solidarité, qui bénéficient d'un parcours d'insertion --autre volet social de ce projet-- testent et adaptent en permanence les recettes.
En France, des initiatives de récupération de fruits et légumes invendus existent déjà, comme sur le gigantesque marché de Rungis, en région parisienne, sous l'impulsion du Potager de Marianne depuis 2008, mais aussi à Lille, Perpignan...
Mais la «légumerie» lancée par la Banque alimentaire des Bouches-du-Rhône au Min de Marseille, va plus loin car elle mise sur une transformation sur place. Sur le même modèle que les Paniers de la mer qui récupèrent et transforment de longue date des poissons invendus sous criée sur le littoral du Nord-Ouest.
«C'est innovant parce qu'on a tout fait pour gagner en durée de vie des produits», explique Gérard Gros, infatigable président de la Banque alimentaire locale.
Fruits et légumes sont mis sous vide, congelés ou stérilisés en bocaux, facilitant stockage et distribution.
«La force de la légumerie (de Marseille) est de récupérer des produits pas recevables à l'aide alimentaire car pas assez robustes. Donc elle va permettre d'augmenter les taux de récupération», commente Cédric Pechard, directeur du Potager de Marianne à Rungis. Elle permettra aussi d'absorber les pics de production, de tomates notamment.
Rien que sur le marché marseillais, 2 200 tonnes de bio-déchets sont recensés chaque année.
Sensibiliser les grossistes
Mais pour réussir, Fruits et légumes Solidarité devra lever quelques blocages. Les grossistes, qui espèrent vendre jusqu'au dernier moment leur marchandise, finissent souvent par la donner trop tard, au dernier jour de vie du produit.
De plus «la défiscalisation qu'ouvre le don en nature n'est pas encore bien ancrée dans les mentalités, on essaie d'accompagner les grossistes» pour qu'ils puissent bénéficier de cet avantage, explique le directeur du Min, Stéphane Hédouin.
Les deux associations présentes au cœur du marché de gros, Banaste de Marianne et cette légumerie, espèrent bien faire bouger les mentalités.
Pour Banaste de Marianne, les volumes progressent chaque année, de 163 tonnes d'invendus collectés en 2017 à 260 tonnes l'an dernier.
Les promoteurs de la «légumerie» espèrent récupérer 1 000 tonnes de fruits et légumes par an d'ici trois ans, auprès des grossistes mais aussi d'agriculteurs ou de grandes surfaces.
Des objectifs ambitieux à la mesure de l'investissement initial pour créer l'atelier, environ 800 000 euros financé à 98% par le Conseil départemental.
La plupart des bocaux seront donnés aux banques alimentaires, où les fruits et légumes manquent, à la fondation Armée du Salut ou aux épiceries solidaires Andes, qui sont submergées de demandes avec la Covid-19 et la précarisation qu'elle induit.
En France, le Secours populaire a recensé en 2020 une hausse de 45% des demandes d'aide alimentaire par rapport à 2019. Sur les Bouches-du-Rhône, la banque alimentaire a distribué 4 700 tonnes en 2020, année Covid, soit 1 000 tonnes de plus qu'en 2019. Marseille, grande ville la plus pauvre du pays, est au bord de l'urgence humanitaire, selon des ONG.
Environ 30% des bocaux produits seront eux mis en vente pour le grand public, afin d'équilibrer un modèle économique pour l'instant dépendant des aides publiques.