PARIS: Les «jambes congelées» sur son matelas posé devant une brasserie parisienne par un froid polaire, John* saisit le thé qu'on lui tend. Depuis 24 jours dans la capitale pour demander l'asile, ses efforts sont vains: le Nigérian se sent «condamné à la rue».
Depuis l'entrée en vigueur au 1er janvier du nouveau schéma national d'accueil des demandeurs d'asile, qui doit permettre, selon le gouvernement, de «désengorger» l'Ile-de-France en orientant largement ces exilés vers la province, les associations d'aide aux migrants craignent une bombe à retardement : d'une part, les dossiers les plus simples transférés en régions, d'autre part, les plus complexes - comme ceux de John et des autres «Dublinés» qui ont déjà demandé l'asile dans un autre pays européen - restant en région parisienne, dans une impasse.
Avec le risque de concentrer, dans Paris et ses alentours, une hyper-précarité, terreau de la reformation de campements, un scénario que les autorités veulent éviter à tout prix.
«Partir ailleurs qu'à Paris, je ne demande que ça si ça veut dire que je ne dors plus dehors», dit John, transi sous une couette devant la Gare du Nord, ce mardi soir de déclenchement du plan grand froid, lorsque des bénévoles associatifs lui proposent une boisson chaude.
«J'ai appelé le 115, expliqué que je voulais demander l'asile, mais on me dit qu'il n'y a pas de place», dit le Nigérian, qui a fui son pays et traversé la Méditerranée.
«Explosif»
«On est favorables au schéma», mais «on risque de se retrouver avec une concentration des situations administratives les plus compliquées en Ile-de-France, et une prise en charge difficile», observe Delphine Rouilleault, directrice générale de France terre d'asile, association opératrice de l'Etat.
Le plan du gouvernement est de «desserrer la pression» en région parisienne, où se présente la moitié des demandeurs d'asile, mais qui ne concentre que 19% du parc d'hébergement dédié.
«Sur le papier, c'est très beau, dans les faits, c'est explosif, car cela ne prend pas en compte que le système dysfonctionne et que les gens n'arrivent pas à déposer leur demande», déplore Clotilde Hoppe, responsable pour l'Ile-de-France de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS).
«On a peur qu'il y ait une reconstitution de campement», dit-elle.
«Outre la question des Dublinés, les primo-arrivants ne sont visiblement plus orientés des accueils de jour vers les centres où sont examinées les situations administratives. On a 75 cas pour la seule première semaine de février. Et il y a ceux qui refusent l'orientation vers la province et qui n'auront plus droit à l'hébergement. On fait comme si ces personnes disparaissaient, mais elles sont bien là, ancrées dans l'errance», ajoute Clotilde Hoppe.
«Rappelez plus tard»
Le directeur de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), Didier Leschi, qui orchestre cette prise en charge, reconnaît que la situation francilienne est «un sujet de préoccupation».
En janvier, 991 personnes ont été orientées en province, soit environ quatre fois plus que la moyenne mensuelle de 2020.
«On n'envoie pas en région les “Dublinés”, car c'est une procédure compliquée. Mais ils n'ont droit à rien: ils touchent l'allocation pour demandeurs d'asile», répond le patron de l'OFII.
Selon lui, 15% des 1 150 personnes sollicitées ont elles-mêmes refusé un transfert, se voyant automatiquement retirer toute allocation ou possibilité d'hébergement.
Calfeutré avec quatre compagnons d'infortune sous une station du métro aérien par un vieux panneau de la RATP et une palette de bois, Najah Mohamad, un Somalien de 24 ans, essaie d'obtenir une prise en charge depuis son arrivée à Paris quatre mois plus tôt.
«On me dit “Rappelez plus tard”. Je garde espoir mais j'ai déposé une demande d'asile et je suis toujours dehors", dit l'homme vêtu d'un simple sweat à capuche par -2°C.
Sur le terrain, à Paris et en petite couronne, où Philippe Caro et son association Solidarité migrants Wilson distribuent des repas, il n'y a plus de campements mais les exilés «sont partout»: «C'est simple, on s'arrête tous les 50 mètres, dans les recoins cachés», résume-t-il après une maraude. «On veut les rendre invisibles mais les plus fragiles se retrouvent à la rue»