BARCELONE: Comme chaque soir depuis des mois, quelques dizaines de séparatistes catalans bloquent une grande avenue de Barcelone. Une mobilisation qui tranche au sein d'un mouvement indépendantiste toujours puissant mais en crise à l'heure d'affronter les élections régionales du 14 février.
«Avant la pandémie, nous étions plus nombreux mais les gens se sont lassés. Il y a une forme de désenchantement politique », regrette Amadeu Palliser, 70 ans.
«Certains hommes politiques parlent de dialogue, de négocier avec Madrid. Mais nous savons qu'on ne peut rien attendre de l'Espagne à part la répression. La seule solution, c'est l'indépendance», ajoute-t-il sur un ton calme mais ferme.
Ces blocages quotidiens de l'avenue Méridienne, l'une des artères les plus importantes de la ville, ont démarré en octobre 2019.
La Catalogne (nord-est de l'Espagne) était alors secouée par des manifestations parfois violentes contre la condamnation à la prison de neuf dirigeants indépendantistes pour leur rôle dans la tentative de sécession de 2017.
Un millier de personnes avaient décidé de bloquer l'avenue. Désormais, ils ne sont plus que quelques dizaines éparpillés sur les huit voies et indifférents aux coups de klaxons et aux insultes des riverains ou des automobilistes.
La riche région de 7,8 millions d'habitants est très divisée sur la question de l'indépendance: selon un sondage de décembre, 45,1% des habitants y sont favorables et 49,9% opposés.
«C'est dingue, les autorités ne laisseraient jamais passer ça pour une autre manifestation. Mais le gouvernement (séparatiste) catalan l'accepte et l'encourage», dénonce Vicente Serrano, un habitant du quartier de 61 ans qui espère que les séparatistes ne remporteront pas de nouveau les élections dimanche.
Divisions
Au pouvoir depuis 2015 en Catalogne, les indépendantistes sont minés par les divisions depuis leur échec de 2017.
Dirigé par Carles Puigdemont, qui a depuis fui en Belgique, le gouvernement régional avait organisé un référendum d'autodétermination, en faute de son interdiction par la justice, suivi par une déclaration unilatérale d'indépendance.
En réponse, Madrid avait destitué le gouvernement régional et suspendu la très large autonomie de la région. Moins de deux mois plus tard, les indépendantistes se maintenaient au pouvoir en remportant les régionales.
Si les tensions avec Madrid ont diminué depuis l'arrivée au pouvoir en Espagne du socialiste Pedro Sanchez en 2018, elles se sont déplacées au sein même du mouvement indépendantiste entre les deux formations alliées au sein de l'exécutif régional.
Ensemble pour la Catalogne (JxC), le parti de Puigdemont, prône toujours la confrontation avec l'Etat central et affirme qu'il pourrait de nouveau proclamer unilatéralement l'indépendance s'il gagnait le scrutin alors qu'ERC (Gauche Républicaine de Catalogne) plaide pour le dialogue et est devenu un allié clé du gouvernement Sanchez au parlement.
A l'occasion de ces élections régionales à la dimension nationale, «la tension générale a laissé la place à la tension interne au mouvement indépendantiste», explique le politologue Oriol Bartomeus, de l'Université autonome de Barcelone.
Les socialistes en embuscade
Des tensions se sont accentuées durant la campagne électorale. ERC, qui espère devancer JxC dimanche, accuse son rival de ne pas être «réaliste» tandis que JxC juge que la stratégie d'ERC pourrait mener l'indépendantisme dans une «impasse».
«Le mouvement indépendantiste doit décider où il va, vers ERC ou vers JxC. Ces élections apporteront la réponse», juge Oriol Bartomeus.
Pedro Sanchez a joué les trouble-fête en lançant dans l'arène l'ancien ministre de la Santé, Salvador Illa, qui, selon certains sondages, a des chances d'arriver en tête.
Le visage de la lutte contre la pandémie semble toutefois difficilement en mesure de les exclure du pouvoir alors que les partis séparatistes pourraient de nouveau disposer ensemble de la majorité absolue et ERC être la clé de toute alliance pour former un gouvernement régional.
«ERC a les cartes en main, car il n'y a que deux options: ou un gouvernement de gauche avec ERC» en soutien, «ou un gouvernement indépendantiste avec ERC», explique l'analyste Josep Ramoneda même si ERC a exclu tout accord avec les socialistes.
«Mais dans les deux cas, je crois que la réalité s'imposera et que le mouvement indépendantiste sera ralenti», conclut-il.