PARIS: La tempête ou beaucoup de bruit pour rien? L’Assemblée nationale entame lundi le premier acte de l'examen du projet de loi qui entend lutter contre l'islamisme radical, une matière propre à enflammer les passions.
Après un prologue d'une cinquantaine d'heures d'auditions, puis autant pour le passage en revue des mesures en commission spéciale, les députés vont enfin débattre en séance du projet de loi "confortant le respect des principes républicains", réputé être l'un des derniers grands textes du quinquennat Macron.
Dans un pays où la laïcité est au cœur des crispations, le sujet est potentiellement archi-sensible même si la perspective d'un nouveau reconfinement écrase toute l'actualité.
Gouvernement et majorité ont jusqu'ici réussi à désamorcer les polémiques, qu'elles viennent de l'opposition ou de ses propres rangs. Pas question par exemple de laisser dériver le débat sur la question du voile, ou alors pas trop.
"Le texte a été bien mené en amont et ça a créé un climat apaisé dans la forme. On a fait mentir ceux qui prédisaient que ça allait être une boucherie politique", se félicite un député LREM.
Dans les rangs du groupe majoritaire, l'heure est à un optimisme prudent avant l'examen prévu pour durer deux semaines.
"Cela va reposer sur des individualités qui peuvent vouloir théâtraliser ou hystériser les débats", pronostique un parlementaire membre de la commission spéciale.
En ligne de mire, les élus LFI et Jean-Luc Mélenchon, opposés à un texte accusé de "stigmatiser les musulmans", mais surtout droite et extrême droite.
Pour le patron des députés LR Damien Abad, le projet de loi est très insuffisant, faisant l'impasse sur la "question migratoire, la radicalisation dans nos prisons ou dans nos entreprises privées".
Les LR dévoileront mardi un contre-projet. Marine Le Pen a déjà présenté le sien vendredi, dans une proposition de loi pour bannir les "idéologies islamistes" et interdire dans tout l'espace public le port du voile.
"Il y a une certaine gêne chez les LR qui sont bien plus divisés sur le texte qu'ils ne l'affichent", assure le corapporteur LREM Sacha Houlié. "Quant à Marine Le Pen, on ne l'a pas entendue de toute la commission...", tacle-t-il.
"Borgne"
Côté gouvernement, Gérald Darmanin (Intérieur) pilote le projet de loi, mais Marlène Schiappa, Eric Dupond-Moretti ou Jean-Michel Blanquer sont également attendus au banc.
Au menu, 70 articles examinés selon un "temps législatif programmé" de 40 heures pour cadrer les débats (hors temps d'interventions des ministres et rapporteurs). Près de 2.650 amendements ont été déposés.
Le projet de loi prévoit une batterie de mesures souvent "techniques" sur la neutralité du service public, la lutte contre la haine en ligne, l'instruction en famille, le contrôle renforcé des associations, une meilleure transparence des cultes et de leur financement, et encore la lutte contre les certificats de virginité, la polygamie ou les mariages forcés.
Il doit traduire le discours d'Emmanuel Macron le 2 octobre aux Mureaux, où le chef de l'Etat avait présenté sa stratégie, longtemps attendue, pour lutter contre l'islam radical.
"Ce discours avait été bien reçu" mais "au final, le projet de loi est borgne car il ne traite pas de la ségrégation, du séparatisme social, territorial, de la mixité scolaire", déplore le communiste Stéphane Peu.
"C'est une loi d'injonctions. Elle ne fait vivre en acte aucun des principes de la République", soulève le socialiste Boris Vallaud.
"C'est une loi d'ordre public", rétorque un poids lourd de la majorité.
Ce constat critique trouve un écho jusqu'à l'aile gauche de LREM. Plusieurs députés comme Souad Zitouni ou les membres d'En Commun rappellent que la "lutte contre les discriminations et les inégalités" font également partie de la "promesse républicaine".
Le gouvernement, qui a annoncé vendredi deux milliards pour les banlieues, fait valoir un futur plan en faveur de l'égalité des chances.
Le chef de file des députés LREM Christophe Castaner l'assure: son groupe sera "très massivement en soutien".
La majorité devra cependant veiller à trouver un équilibre sur les nouvelles modalités de financement des cultes et surtout l'instruction en famille (IEF) qui fait l'objet de 384 amendements, un record sur ce texte.