Alors que Joe Biden se familiarise de nouveau avec la Maison-Blanche, il est confronté aux plus grands défis intérieurs qu’un président américain entrant ait jamais eu à relever. Cependant, son équipe et lui sont terriblement conscients du travail qui les attend au sujet de la reconstruction de l’image des États-Unis dans le monde. Alliés comme ennemis, tous ont observé le tumulte qui a bouleversé le pays avec la gestion désastreuse de la pandémie de coronavirus.
Les propos du ministre français des Finances, Bruno Le Maire, sont un parfait exemple de l’accueil prudent que les pays européens réservent à Biden: «Au vu de l’attaque du Capitole américain et des émeutes dans de nombreuses villes des États-Unis, la société américaine risque de se diviser et l’administration n’est pas en mesure d’assumer ses responsabilités mondiales.»
Tout cela est clairement montré dans un sondage mené pour le Conseil européen des relations internationale à la fin de l’année dernière auprès de 15 000 personnes dans onze pays européens. Ayez bien à l’esprit que ce sondage a été réalisé avant les événements du 6 janvier et la désacralisation du cœur démocratique des États-Unis. Bien qu’elle donne des informations sur le bilan de Trump et sur les attentes envers Biden, l’enquête présente également quelques perspectives alarmantes sur l’avenir du pays.
L’image des États-Unis a souffert et, bien que ce soit en partie dû à Trump – le premier président à avoir été mis en accusation à deux reprises –, cette souffrance est également liée au fait que le système politique américain est endommagé. Parmi les personnes interrogées, 60% partagent cette opinion. Lorsque les émeutiers des groupes d’extrême droite et les obsédés de la théorie du «complot du QAnon» envahissent le Capitole, l’image renvoyée n’est assurément pas un sentiment de stabilité. Le fait de contester violemment jusqu’aux résultats de l’élection, quand toutes les preuves indiquaient que Biden l’avait bel et bien remporté, au mois de novembre dernier, n’offre pas non plus ce sentiment de stabilité.
Les résultats les plus importants du sondage montrent que la moitié des participants voudraient que l’Europe soit neutre dans toute confrontation entre les États-Unis et la Chine, tandis qu’un maximum de 40% souhaiterait qu’elle soit neutre dans un bras de fer entre les États-Unis et la Russie.
Trump n’a jamais tenté de séduire l’Europe. Il n’aimait pas l’Union européenne, était pro-Brexit, et avait tendance à s’acharner contre les puissances européennes qui s’attendaient simplement à ce que les États-Unis assurent gratuitement leur sécurité. Trump n’est pas le seul à penser ainsi, et les dirigeants européens devront donc porter une plus grande part du fardeau de la défense au sein de l’Otan.
Voilà de quoi stimuler la Chine. Pour cette nation, le déclin des États-Unis signifie une montée en puissance plus précoce, la majorité des Européens estimant qu’elle sera plus puissante que les États-Unis d’ici à une décennie. Cela soulève de nombreuses questions, notamment sur la manière dont les Européens pourraient souhaiter voir leur pays se positionner entre les deux superpuissances, beaucoup d’entre eux jugeant qu’ils devraient être neutres. Biden pourrait donc avoir du pain sur la planche s’il veut affronter la Chine avec le soutien de l’Europe.
En outre, deux tiers des personnes interrogées pensent que l’Europe doit commencer à investir davantage dans sa propre défense. Cette proportion passe à 74% en Grande-Bretagne, jusqu’à présent premier partenaire des États-Unis en Europe, notamment dans le domaine militaire et dans celui de la sécurité. En France et en Allemagne, seules 10% des personnes interrogées estiment avoir besoin d’une garantie de sécurité américaine, ce qui est au cœur de la position de ces deux pays depuis la Seconde Guerre mondiale, en particulier pour l’Allemagne. Les États plus proches de la Russie sont davantage inquiets, notamment la Pologne, où 44% des personnes interrogées souhaitent une assurance américaine.
Cela a également des répercussions sur l’avenir de l’Europe. Ses capacités militaires collectives sont bonnes mais, sans les États-Unis, il serait nécessaire de multiplier les investissements afin de parvenir à l’indépendance militaire. Les puissances européennes sont réticentes à entrer dans des conflits sans le soutien des États-Unis, comme en Libye en 2011, en raison des capacités avancées que les États-Unis sont en mesure de déployer. Il se peut que les dirigeants politiques européens n’aient d’autre choix que de mieux faire comprendre à leurs publics sceptiques la raison pour laquelle les États-Unis sont toujours importants pour leur sécurité.
Biden pourrait donc avoir du pain sur la planche s’il veut affronter la Chine avec le soutien de l’Europe.
Toutefois, il pourrait s’avérer plus difficile de persuader les électeurs d’adopter une position plus anti-Chine, car de nombreux Européens ne considèrent pas Pékin comme une menace aussi importante que l’était l’Union soviétique, par exemple. Ils semblent préférer apaiser la Chine selon un système fondé sur des règles, en adoptant une position de collaboration plutôt que de confrontation directe.
Il y a une continuité dans les opinions européennes, ce qui pourrait surprendre. Il est facile de penser que ce sont les retombées des quatre années d’essai de Trump. Mais cela dissimule le sentiment croissant que les Européens ne voient plus les États-Unis comme un partenaire fiable sur lequel ils peuvent compter; phénomène qui est en hausse depuis un certain temps. Les guerres déclenchées après le 11-Septembre, notamment en Irak, ont sans aucun doute joué un rôle important à cet égard. La scène politique américaine est tellement polarisée qu’un président participe à un accord sur le climat, le suivant s’en retire, et le prochain le rejoint. La même chose pourrait se produire avec l’accord sur le nucléaire iranien et sur les traités de contrôle des armements. Cela ne permet pas d’établir une relation stable.
Les Européens considèrent les États-Unis comme une puissance en déclin. En 1990, après la fin de la guerre froide, les États-Unis étaient une puissance hégémonique capable d’influencer les événements mondiaux; mais il semble que ce ne soit plus le cas aujourd’hui. La nation reste influente, mais, son système étant endommagé, elle se fait dépasser par d’autres puissances. De nombreux Européens ont peur d’un pays capable d’élire un Trump isolationniste en 2016 et dans lequel 74 millions d’électeurs l’ont à nouveau choisi au mois de novembre. Cette élection a montré que le phénomène Trump n'a rien d’un feu de paille qui peut être éteint en un instant.
Un grand nombre d’Européens voudraient un rôle plus indépendant, qui place leurs intérêts en priorité et qui développe les moyens nécessaires pour les réaliser. Les dirigeants européens sont donc confrontés à un profond dilemme quant à la manière de mettre ces ambitions en pratique. Les économies européennes sont durement touchées par la pandémie et l’absence d’une approche continentale claire et unifiée signifie qu’une stratégie concertée, à laquelle les États de l’Union européenne pourraient adhérer, serait pratiquement impossible à réaliser.
Biden peut atténuer ces pressions dans une certaine mesure. Les Européens, pour la plupart, ont salué sa victoire, mais la moitié d’entre eux ne le croient pas capable de résoudre les problèmes des États-Unis. Il n’est pas détesté, mais n’est sans doute pas encore aimé non plus. Les États-Unis et l’Europe peuvent travailler ensemble et seront plus forts s’ils le font. Cependant, les Européens craignent que ces quatre années ensoleillées soient suivies de quatre autres années moroses: un président qui s’engage à travailler avec ses alliés, suivi d’un autre, isolationniste, qui promeut une approche unilatérale des États-Unis. L’époque où l’alliance transatlantique baignait dans les certitudes est révolue. Elle devra être renouvelée et les deux parties seront confrontées à des choix difficiles.
Chris Doyle est le directeur du Council for Arab- British Understanding, situé à Londres.
Twitter : @Doylech
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com