PARIS: A l'issue d'une grève de la faim très médiatisée de son patron boulanger au début du mois, le jeune apprenti guinéen Laye Fodé Traoré a été régularisé. Une affaire emblématique, estiment les défenseurs des migrants, du "parcours du combattant" des anciens mineurs isolés étrangers.
Avant que la préfecture de Haute-Saône ne délivre finalement un titre de séjour à cet ancien "mineur non accompagné" (MNA) pris en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE) puis menacé d'expulsion, l'idée circulait jusqu'au sein du gouvernement que l'histoire n'était qu'un "cas particulier", comme l'a affirmé la ministre du Travail Elisabeth Borne.
C'est pourtant "tout sauf un cas isolé", qui relève "au contraire d'une politique délibérée", balaye Violaine Husson, spécialiste de la question à la Cimade.
S'il n'existe pas de statistique sur le nombre d'anciens mineurs isolés étrangers - 31.000 en France selon les dernières données disponibles - visés par une obligation de quitter le territoire français (OQTF) une fois majeurs, Violaine Husson affirme que sa seule association en aide actuellement à 200.
"Depuis quelques mois, on assiste à une pluie d'OQTF au jour des 18 ans, alors que légalement ils ont jusqu'à 19 ans moins un jour pour faire leur demande de titre de séjour", explique-t-elle.
Elle met notamment en cause une circulaire du ministère de l'Intérieur datée du 21 septembre 2020, qui prévoit un examen anticipé du droit au séjour de ces jeunes dès leur 17 ans. Cette instruction a "changé la donne et amplifié la problématique", dit Violaine Husson.
"Parcours du combattant"
Résultat, "tout ce qui a été mis en place en terme d'insertion pendant des années est balayé d'un revers de main par la préfecture", déplore-t-elle.
Pour échapper à l'expulsion, Laye Fodé Traoré a dû obtenir une double légalisation de son état civil par les autorités guinéennes.
Un cas "emblématique de ce qui arrive à des milliers de jeunes majeurs isolés étrangers", ont abondé d'une même voix le Syndicat des avocats de France (SAF) et l'ADDE (Avocats pour la défense des droits des étrangers).
"C'est le parcours du combattant", résume Brigitte Bertin, avocate spécialisée dans le droit des étrangers à Besançon, où se trouve la boulangerie du Guinéen.
Tous les ex-MNA ne sont pas menacés d'expulsion, surtout ceux pris en charge par l'ASE avant 16 ans, reconnaissent les spécialistes.
D'ailleurs, l'une des très rares catégories de l'immigration à n'avoir pas reculé à cause de la pandémie de Covid-19 en 2020 est celle des titres délivrés aux étrangers entrés mineurs sur le territoire (+8%).
Ceux pris en charge après 16 ans doivent remplir plusieurs conditions: être engagés dans une formation qualifiante (CFA, Bac pro...), ne plus avoir de lien fort et régulier avec le pays d'origine, et justifier de leur identité.
"Continuer le combat"
C'est sur ce dernier point que le bât blesse, juge Amandine Dravigny, avocate de Laye Fodé Traoré: les Africains, notamment les Guinéens, voient leur identité régulièrement contestée car ils "ne sont souvent pas déclarés à la naissance, donc en arrivant en France, ils doivent faire une demande de jugement supplétif auprès d'un tribunal de leur pays pour attester de leur identité".
Un casse-tête administratif renforcé, par exemple, par une note du ministère de l'Intérieur datée du 1er décembre 2017, consultée par l'AFP, et qui préconise de "formuler un avis défavorable pour toute analyse d'acte de naissance guinéen" en raison d'une "fraude généralisée" de l'état civil dans le pays.
Face aux barrières qui s'accumulent, la mobilisation citoyenne et patronale s'organise: les pétitions se multiplient pour qu'Amadou, Sékou ou encore Yaya, apprentis cuisinier ou électriciens, échappent à l'expulsion.
La situation actuelle relève de "l'incohérence", juge Laurent Delbos, de Forum réfugiés. "Ce sont des jeunes sur lesquels on a investi beaucoup d'argent (en les accueillant et les formant) et qui se retrouvent au final avec une OQTF".
Le patron boulanger Stéphane Ravacley, lui, veut "continuer le combat" et appelle à une réforme pour permettre aux étrangers de terminer leur formation, quel que soit leur âge.
"Ces gamins méritants, qui se lèvent à 3 heures du matin pour venir travailler à la boulangerie ou sur un chantier, qu'on les laisse vivre et travailler", peste-t-il. "Surtout si aucun autre n'est intéressé par le poste."