SAN FRANCISCO : "Hello ‘brioche à la cannelle’ (...), tu peux bannir cette appli, il y en aura une nouvelle, c'est l'offre et la demande", rappe Maya2960 sur TikTok, en s'adressant au président Donald Trump, qui menace d'interdire le réseau social aux Etats-Unis.
Microsoft négocie avec ByteDance, la maison-mère chinoise, pour racheter TikTok. Le vétéran de l'informatique sauverait ainsi la jeune appli en danger, et s'assurerait une place de choix dans l'univers fructueux des réseaux sociaux grand public.
La plateforme de partage de vidéos courtes, généralement musicales, décalées ou humoristiques, a connu une trajectoire ascensionnelle. Elle compte un milliard d'utilisateurs.
Mais Washington l'accuse, avec une ferveur renouvelée ces derniers jours, de communiquer des infos personnelles aux autorités chinoise - ce que TikTok a toujours fermement nié.
Depuis les premières menaces d'interdiction proférées par le locataire de la Maison blanche, des créateurs assidus expriment leur désarroi avec humour.
"Tu peux essayer de nous censurer, tu peux faire un caprice, mais la constitution est de notre côté (...) la liberté d'expression ne peut pas être bannie", continue Maya2960, dans sa vidéo visionnée 1,8 million de fois.
Elle estime, comme d'autres utilisateurs, que Donald Trump cherche à se venger des rangées de sièges vides lors de son meeting de campagne à Tulsa (Oklahoma) fin juin.
Des adolescents avaient proclamé sur TikTok qu'ils avaient commandé de nombreux billets d'entrée avec la ferme intention de ne pas y aller.
- Idéalisme et capitalisme -@ch1ppychip, de son côté, a posté un clip intitulé "Moi en train de convaincre Trump de nous laisser garder TikTok", où elle s'étale de la peinture orange sur le visage (une référence au teint du président) et construit un mur en brique (allusion à la frontière mexicaine).
D'autres ont affiché leurs comptes Instagram ou YouTube, afin de ne pas perdre leurs fans, sources de revenus publicitaires.
Le comédien et rappeur Elijah Daniel assure que "tout le monde s'est précipité sur Clash", une application de création, visionnage et monétisation de vidéos.
Le président, qui s'était opposé à une cession de l'application, s'est ravisé ce weekend.
Lundi, il a publiquement soutenu un rachat par une entreprise américaine, comme Microsoft - mais avant le 15 septembre, ou il bloquera l'appli.
Une solution qu'approuve un groupe de créateurs de contenu, signataires d'une lettre à Donald Trump publiée sur le site Medium dimanche.
"Nous ne nous attendons pas à ce que la génération de nos parents comprenne (le succès de TikTok). Ils pensent sans doute que nous sommes naïfs et désespérés à l'idée de perdre nos fans", remarquent Max Beaumont et une vingtaine d'autres créateurs.
Selon eux, la plateforme n'a rien à voir avec ses grandes rivales, où les interactions sont déterminées par son entourage. "Cela crée un environnement où les utilisateurs sont seulement exposés à des personnes qui partagent leurs idées", rappellent-ils.
"TikTok est différent : les contenus que vous consommez peuvent venir de n'importe qui".
"Chevalier blanc"
Si la transaction aboutit, Microsoft saura-t-il faire grandir ce modèle sans le dénaturer ?
Le rachat assurera l'avenir de la plateforme aux Etats-Unis, "mais elle ne progressera peut-être pas aussi vite sans les technologies d'intelligence artificielle développées par byteDance pour la recommendation de contenus", pointe Josh Constine, investisseur chez SignalFire et ancien de techCrunch.
La société de Redmond (Etat de Washington), fondée il y a 45 ans, s'est construite sur le succès des logiciels de bureautique (comme Word) et, plus récemment, sur le cloud (informatique dématérialisée).
Les aventures du groupe hors des marchés professionnels "ont eu des résultats mitigés, au mieux", remarque Rich Greenfield, analyste chez LightShed.
"Pensez à Skype, Mixer, Hololens, Linkedin et même Minecraft, qui n'a pas pris l'ampleur qu'il aurait pu avec un autre acheteur".
Certes, Microsoft, c'est aussi les jeux vidéo, avec la Xbox. Mais fin juin, la société a fermé sa plateforme de streaming de jeux vidéo Mixer, laissant le champ libre au géant du secteur Twitch (Amazon) et à ses deux rivaux, YouTube Gaming et Facebook Gaming.
Facebook ou Google auraient pu faire partie des repreneurs potentiels, mais ils font face à des enquêtes multiples sur leurs pratiques potentiellement anti-concurrentielles.
"Le seul chevalier blanc potentiel de la situation, c'est Microsoft", estime l'analyste Dan Ives de Wedbush Securities. L'acquisition serait un "tour de force, surtout à la valeur actuelle d'environ 40 milliards de dollars".
"Si TikTok est bien manoeuvrée, sa valeur pourrait atteindre les 200 milliards d'ici quelques années, étant donné le parcours fulgurant de l'appli en termes d'utilisateurs et d'engagement".