Les interactions économiques, sociales et culturelles entre le Sahel et l’Afrique du Nord remontent aux débuts de l’islam et à l’époque des puissantes dynasties marocaines qui contrôlaient la majeure partie du nord-ouest de l’Afrique. Sous les empires marocains depuis les Almoravides jusqu’aux Alaouites, le commerce prospérait le long des Routes du Sel — un réseau complexe reliant le Maroc Impérial au Soudan occidental (l’ouest africain). Ces «Routes du Sel» reliaient des villes telles que Sijilmasa, Marrakech, Fès, Tripoli, Ghadames, Tlemcen et Kairouan à des centres commerciaux sahéliens comme Gao, Djenné et Wada.
L’influence culturelle voyageait également le long des routes commerciales. Des érudits religieux de Fès et Marrakech accompagnaient les caravanes, diffusant l’islam soufi du Grand Empire chérifien auprès des populations sahéliennes. Cela a établi les sultans du Maroc Impérial comme des figures clés dans le tissu religieux du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest.
Malgré les guerres, la traite des esclaves et la chute des empires, une complémentarité vertueuse existait entre le Sahel et l’Afrique du Nord qui a finalement été perturbée par le colonialisme français et ses nouvelles priorités administratives et militaires.
Aujourd’hui, cette relation historique est, dans certains cas, chérie et entretenue, mais dans d’autres, elle fait face à des défis importants. Par exemple, les relations avec l’Algérie se sont détériorées tandis que les liens avec le Maroc se sont renforcés grâce à des initiatives économiques, comme l’ouverture des ports marocains aux pays sahéliens enclavés.
Les relations du Maroc avec les pays du Sahel se sont renforcées grâce aux nombreuses visites du roi Mohammed VI et aux accords de partenariat, incluant des initiatives pour intégrer les nations enclavées comme le Mali et le Niger dans la vision atlantique du souverain marocain. Cet engagement met en avant le développement d’infrastructures et de corridors commerciaux pour un développement régional inclusif, favorisant la croissance économique comme outil contre le terrorisme et le crime organisé.
L’approche de l’Algérie est différente. Sa préoccupation pour la sécurité le long de ses frontières sud l’a amenée à s’engager avec des milices d’opposition maliennes, ce qui a tendu ses relations avec le Mali, en particulier avec le gouvernement militaire actuel de Bamako. L’influence régionale de l’Algérie diminue de plus en plus en raison de la présence croissante d’intérêts russes, chinois, turcs et marocains au Sahel.
Lors de l’Assemblée générale des Nations unies en 2024, le Mali a condamné l’Algérie pour son soutien présumé aux terroristes. Ces remarques faisaient suite aux critiques de l’attaque de drones du Mali dans la zone frontalière de Tinzaouatène par le représentant algérien auprès de l’ONU, Amar Bendjama.
L’influence régionale de l’Algérie diminue de plus en plus en raison de la présence croissante d’intérêts russes, chinois, turcs et marocains au Sahel.
Lahcen Haddad
Les relations de l’Algérie avec le Niger ont été particulièrement tendues en raison des expulsions de migrants subsahariens par l’Algérie à travers leur frontière commune. Ces expulsions ont suscité des critiques de la part d’organisations internationales, dont Human Rights Watch et l’Organisation internationale pour les migrations, en raison de leurs conditions dures et inhumaines.
Plus récemment, en 2024, l’ONG Alarme Phone Sahara a publié un rapport détaillé présentant des preuves tangibles selon lesquelles l’Algérie avait illégalement expulsé près de 20 000 migrants vers le Niger entre janvier et août. Cette situation a incité le Niger et diverses organisations internationales à dénoncer l’Algérie. De telles actions ont contribué à l’isolement de l’Algérie et à la détérioration de ses relations avec le Niger voisin.
L’Algérie cherche à renforcer son influence régionale, mais elle manque de trois éléments clés que possèdent des pays comme le Maroc et l’Égypte: une profondeur historique, une influence religieuse et culturelle, et la solidité de leurs entreprises publiques et privées. En outre, les vastes frontières de l’Algérie avec le Sahel offrent à la fois des opportunités pour une politique de bon voisinage et des défis liés aux risques sécuritaires et autres problèmes transfrontaliers.
L’Algérie est connue pour sa politique de voisinage peu constructive, comme en témoigne sa décision unilatérale de fermer les frontières terrestres avec le Maroc depuis 1994, une mesure qui limite les échanges humains et économiques entre les deux pays. À cela s’ajoutent la fermeture de son espace aérien aux avions marocains depuis 2021 et son refus de renouveler le contrat du gazoduc Maghreb-Europe, qui traverse le Maroc, utilisant ainsi le gaz comme levier politique. Ces décisions reflètent une approche centrée sur des différends politiques, au détriment de la coopération régionale et des principes de bon voisinage.
L’Algérie cherche à renforcer son influence régionale, mais elle manque de trois éléments clés que possèdent des pays comme le Maroc et l’Égypte: une profondeur historique, une influence religieuse et culturelle, et la solidité de leurs entreprises publiques et privées.
Lahcen Haddad
Les relations de la Libye avec le Sahel ont atteint leur apogée sous le règne de Mouammar Kadhafi. Son approche de la région était multifacette, englobant une aide financière directe, le financement de projets, la promotion du panafricanisme, le soutien à des groupes anti-gouvernementaux (notamment au Tchad) et l’emploi de mercenaires du Sahel pour maintenir son pouvoir avant son renversement lors de la révolution libyenne.
Sous Kadhafi, la Libye a joué un rôle influent au Sahel. La Libye post-Kadhafi, une fois stabilisée, peut renouer avec un rôle influent au Sahel et collaborer aux efforts de développement au Sahel et au contrôle des flux migratoires.
La Tunisie a généralement maintenu des relations cordiales avec les pays du Sahel, mettant l’accent sur la coopération économique. La répression des migrants subsahariens a fait l’objet de critiques d’organisations internationales et de la société civile, mettant à rude épreuve les relations de la Tunisie avec d’autres nations africaines.
Des siècles d’échanges commerciaux et culturels ont profondément marqué la relation entre l’Afrique du Nord et le Sahel. Aujourd’hui, cette relation est complexe et difficile, influencée par des préoccupations sécuritaires, des intérêts économiques et des questions migratoires. Le Maroc a travaillé à renforcer ses liens à travers des initiatives économiques et des projets d’infrastructure visant à favoriser la stabilité et l’intégration régionale. En revanche, l’Algérie fait face à des relations tendues en raison de son soutien à certains groupes armés et de pratiques migratoires controversées. Le rôle autrefois important de la Libye sous Kadhafi s’est affaibli en raison des conflits internes, bien qu’il existe un potentiel de coordination dans les domaines de la sécurité, des migrations et des affaires économiques. La Tunisie a montré un intérêt pour la sécurité et la coopération, mais sa répression des migrants subsahariens illégaux a suscité des inquiétudes sur le continent africain.
Le Dr Lahcen Haddad est consultant international en développement social, vice-président du Sénat marocain et coprésident de la commission parlementaire mixte Maroc-UE. Il a précédemment été vice-président de la Société pour le développement international (2017-2022) et du Réseau parlementaire sur la Banque mondiale et le FMI (jusqu'en 2021). Actuellement, il enseigne la négociation internationale à la Toulouse Business School et l'entrepreneuriat et l'innovation à l'African Business School de l'Université polytechnique Mohammed VI.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.