Kfeir, Liban: Sur un versant boisé de la montagne libanaise, Assaad al-Taqi participe comme chaque année à la cueillette des olives, imperturbable malgré le rugissement des avions de chasse et les colonnes de fumées à l'horizon, en pleine guerre entre l'armée israélienne et le Hezbollah.
A neuf kilomètres de là seulement, débute le secteur du Golan syrien occupé par Israël. Un peu plus loin dans le sud du Liban, les villages frontaliers visés quotidiennement par les bombardements israéliens.
Mais dans les oliveraies du village bucolique de Kfeir, au côté d'autres ouvriers et ouvrières agricoles, M. al-Tagi, 51 ans, agite son bâton parmi les branches touffues des arbres pour faire tomber les olives sur une bâche en jute étalée au sol.
"La région est près des bombardements", reconnaît doctement l'homme au visage buriné par le soleil. "Mais je n'ai pas peur d'une roquette".
"Notre seule présence ici est comme un défi", ajoute-t-il non sans lyrisme: "Les olives sont le meilleur des fruits. C'est l'arbre de la paix".
Pour déjeuner, le groupe s'installe à l'ombre des oliviers, plantés à 900 mètres d'altitude sur le flanc du mont Hermon, près du triangle des frontières libanaise, syrienne et israélienne, sur le Golan occupé.
"On n'a pas peur, on a l'habitude. On a surtout peur pour nos frères impactés par le conflit", confie Hassna Hammad, 48 ans, en allusion aux centaines de milliers de Libanais déplacés par la guerre. Et surtout, "ce travail est notre gagne-pain"? ajoute-t-elle.
- "La guerre fait peur" -
Le village de Kfeir, comme sa région de Hasbaya où vivent familles chrétiennes et druzes, a été largement épargné par la guerre qui déchire les bastions du Hezbollah chiite, même si fin octobre, un complexe hôtelier de Hasbaya a pu être visé par une frappe qui a coûté la vie à trois journalistes.
Le calme relatif a permis d'organiser la cueillette des olives. Ailleurs dans le sud, il n'y a plus personne pour s'occuper des champs, les habitants ayant déserté les villages cibles depuis fin septembre de raids aériens et d'une offensive au sol lancée par Israël.
Dans les zones touchées par le conflit, "12% des oliveraies ont été détruites", selon un rapport de la Banque mondiale, estimant à 58 millions de dollars les pertes financières entraînées par une "perturbation" des cueillettes, "à cause des bombardements et des déplacements".
Mais dans les oliveraies de Kfeir, on s'éparpille dès l'aube pour la cueillette, malgré le passage des avions israéliens brisant le mur du son.
La saison est généralement très attendue au Liban. Parfois, les citadins rentrent spécialement dans leurs campagnes pour y participer.
"Tout le monde n'a pas le courage de venir", déplore toutefois Salim Kassab, propriétaire d'un pressoir traditionnel, où les villageois apportent leurs olives pour en tirer de l'huile.
"Pour cette cueillette, beaucoup manquent à l'appel. Ils ont préféré envoyer des ouvriers les remplacer", ajoute le quinquagénaire: "Evidemment la guerre fait peur". Lui-même est monté au village sans sa femme ni les enfants.
Avant la guerre, pour réparer les machines de son pressoir il allait à Nabatiyé ou Saïda, grandes villes du sud. Impossible aujourd'hui: pour des réparations il doit aller plus loin.
- "Le mois des olives" -
Dans un pays en plein effondrement économique depuis 2019, douze mois de conflit ont coûté au secteur agricole libanais des pertes de 1,1 milliard de dollars, selon une estimation de la Banque mondiale.
Si l'impact varie, "les régions près de la frontière sud ont subi les pertes et les dégâts les plus significatifs", reconnaît-elle.
L'institution cite les dégâts causés par des incendies et l'abandon de terrains et de cheptels, dans le sud et dans la Bekaa (Est). Outre des déplacements de population et de fermiers, synonymes de "récoltes perdues".
Au village de Kfeir, au détour d'une ruelle, l'odeur des olives fraîches émane de l'entrée d'une petite maison. Inaam Abou Rizk, 77 ans, les rince avec l'aide de son mari.
Elle va les mettre en conserve, pour les servir à sa table tout l'hiver, ou les envoyer au pressoir. Des traditions héritées de génération en génération. Elle-même participe à la cueillette des olives depuis des décennies. Cette année ne pouvait pas être différente.
"Nous avons peur bien sûr", admet-elle: "Il y a le bruit des avions et des bombardements". Mais, confie-t-elle, "nous aimons le mois des olives, nous sommes des paysans et la terre est notre travail".