À l’approche des fêtes de Noël, comme chaque année, je m’apprête à regagner le Royaume-Uni pour retrouver famille et amis. Dubaï, où je réside depuis bientôt seize ans, est devenu mon port d'attache. Plus les années passent, plus je constate mon détachement progressif de cette Grande-Bretagne qui m’a vu naître et grandir pendant quatre décennies.
La vie d’expatrié occidental au Moyen-Orient impose certes quelques adaptations, mais elle offre aussi ses richesses, comme partout ailleurs. Pourtant, les préjugés persistent. Dans l'imaginaire occidental, cette région reste trop souvent perçue comme un territoire hostile et arriéré.
Les questions qui me sont régulièrement posées lors de mes retours au pays en témoignent: "Comment peut-on s’épanouir dans un environnement si restrictif?" Ma réponse est invariablement la même : "Je mène une vie sociale normale, je vois des amis, rien d’extraordinaire."
Le sujet de la condition féminine revient fréquemment: "Les femmes doivent être privées de tout." La réalité est tout autre. Elles conduisent, travaillent, et occupent des postes à responsabilité. En seize ans de carrière ici, j'ai eu autant de supérieures hiérarchiques féminines que masculines.
Des progrès restent à faire, certes. Les entreprises multiplient les initiatives pour recruter des femmes dans les secteurs scientifiques et techniques, signe d'une volonté réelle de changement
Dans un rapport publié en 2019, à la veille de la crise sanitaire, le Forum économique mondial révélait une statistique surprenante: la Jordanie se distinguait comme le pays où la probabilité d’avoir une femme pour supérieure hiérarchique dépassait celle d'avoir un homme. Le royaume hachémite affichait un taux remarquable avec 62% des postes managériaux y étaient occupés par des femmes en 2019, se hissant ainsi en tête du classement mondial.
Néanmoins, un récent rapport de Corporate Women Directors International tempère ce constat: dans seize pays de la région MENA (Moyen-Orient, Afrique du Nord) et en Turquie, les femmes ne représentent que 8,6% des membres des conseils d'administration des 1.148 sociétés cotées.
Cette vision déformée du Moyen-Orient s'explique en partie par le traitement médiatique occidental, focalisé sur les aspects négatifs. À Gaza, les victimes civiles, notamment les enfants sont systématiquement relativisées par la rhétorique du "droit d'Israël à se défendre".
En octobre dernier, une polémique a éclaté au sein des grands médias internationaux: plusieurs journalistes ont dénoncé des pressions éditoriales les poussant à adopter une ligne hostile aux Palestiniens. Si les directions des médias concernés ont fermement démenti ces allégations, l'ampleur de la controverse s'est particulièrement illustrée à la BBC, où plus d'une centaine de journalistes ont cosigné une lettre ouverte fustigeant la couverture médiatique de leur propre rédaction.
Depuis le 11 septembre 2001, la stigmatisation des musulmans s'est accentuée. La France a interdit le port du voile dans l'espace public, les États-Unis ont décrété en 2017 une interdiction de voyage visant sept pays majoritairement musulmans.
Cette diabolisation systématique affecte l'islam et les pays où il prédomine.
- Peter Harrison
Le deux poids, deux mesures est flagrant dans le traitement médiatique des actes de violence. Un attentat perpétré par des musulmans est immédiatement étiqueté "terrorisme islamiste". En revanche, quand un Occidental attaque une mosquée à Londres ou massacre des fidèles en Nouvelle-Zélande, on évoque un "loup solitaire".
Cette diabolisation systématique affecte l'islam et les pays où il prédomine.
Figure marquante de la politique britannique, la baronne Sayeeda Warsi a récemment claqué la porte du Parti conservateur, dénonçant une « hypocrisie systémique » dans le traitement des minorités. Dans un réquisitoire cinglant, elle pointe du doigt une stratégie médiatique pernicieuse : « La méthode la plus efficace pour déshumaniser quelqu'un aujourd'hui est de le qualifier de musulman », affirme-t-elle, évoquant notamment le cas des manifestations pro-Gaza au Royaume-Uni. Alors que ces rassemblements réunissent des citoyens de toutes confessions, ils sont invariablement dépeints comme des «manifestations musulmanes».
Le traitement médiatique du conflit à Gaza illustre parfaitement ce biais: les victimes civiles sont systématiquement présentées comme des « musulmans pro-Hamas », occultant une réalité bien plus complexe où la mort frappe aveuglément, sans distinction de croyance ou d'appartenance politique. Cette catégorisation systématique se retrouve jusque dans le vocabulaire employé: plutôt que de parler simplement d'êtres humains, on les étiquette invariablement comme «musulmans modérés» ou «conservateurs».
Quand Israël mène des opérations militaires, on parle de «légitime défense», mais lorsqu'il s'agit des habitants du Liban ou de Gaza, ils sont systématiquement réduits à des «populations tribales» ou étiquetés comme «complices du terrorisme».
On me demande encore si Noël est autorisé au Moyen-Orient, alors que les centres commerciaux de Dubaï regorgent de décorations festives dès octobre et que les grands hôtels affichent déjà complet pour les réveillons.
La réalité de notre quotidien ici — chers compatriotes — est bien loin des clichés. Certes, la vie n'y est pas parfaite, elle connaît ses zones d'ombre et ses désillusions, mais elle s'écoule paisiblement, et pour l'heure, cela me convient parfaitement.
Je côtoie quotidiennement des personnes dont les proches subissent les bombardements à Gaza ou au Liban. Une connaissance a récemment appris la destruction de son ancienne école au Liban, une autre a perdu un parent, victime d'un sniper à Gaza.
Ces drames nous rappellent une évidence trop souvent oubliée: avant d’être autres choses, ces gens-là sont avant tout des êtres humains. Hantés par les images de désolation en provenance de leurs pays d'origine, ils portent le fardeau de conflits qu’ils n'ont pas choisis, tout en étant privés de la présence de leurs proches. Alors que je m’apprête à rejoindre les miens pour les fêtes, je mesure le privilège qui est le mien, conscient que beaucoup de mes amis et collègues n’auront pas cette chance.
• Peter Harrison est rédacteur en chef senior à Arab News dans le bureau de Dubaï. Il couvre le Moyen-Orient depuis plus d’une décennie.
X : @PhotoPJHarrison
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com