La guerre qu'Israël mène actuellement contre le Hezbollah au Liban pose une question cruciale : La Syrie sera-t-elle entraînée dans ce conflit au fur et à mesure qu'il s'intensifie ? Alors que la violence s'intensifie, la proximité géographique de la Syrie et du Liban rend presque inévitable que les événements qui se déroulent dans le second pays affectent le premier. Historiquement, le Liban et la Syrie semblent avoir eu des destins entremêlés, politiquement, économiquement et socialement, en raison de leur frontière commune et de leurs liens culturels. On peut donc craindre que le conflit actuel au Liban ne s'étende au-delà de la frontière, notamment en raison des alliances et des rivalités complexes dans la région, qui impliquent non seulement des acteurs locaux, mais aussi des puissances mondiales comme l'Iran, les États-Unis et la Russie.
Les conflits en Syrie et au Liban ont souvent débordé de l'un à l'autre, surtout en période de troubles civils. La guerre civile syrienne, par exemple, a eu des effets dévastateurs sur le Liban, provoquant de graves tensions économiques et altérant le tissu social.
Au cours de la dernière décennie, le Liban a accueilli près de 1,5 million de réfugiés syriens, ce qui a mis à rude épreuve ses infrastructures et ses services publics. Aujourd'hui, alors que la violence éclate au Liban, l'inverse pourrait se produire, les réfugiés affluant en Syrie, ce qui déstabiliserait encore plus ce pays déjà fragile. Les ramifications sociales, économiques et politiques de cette situation sont vastes et il est peu probable que la Syrie échappe aux retombées si le conflit s'aggrave.
La guerre d'Israël contre le Hezbollah a déjà un impact significatif sur la Syrie, bien qu'elle n'ait pas encore entraîné le pays dans un conflit direct. L'un des premiers effets est l'afflux de réfugiés : plus de 250 000 civils libanais auraient fui vers la Syrie. Pour un pays qui se remet encore d'une guerre civile brutale, cet afflux exacerbe la crise humanitaire déjà terrible de la Syrie.
La poursuite des opérations militaires israéliennes dans l'espace aérien syrien pourrait finir par provoquer une réaction plus forte.
- Majid Rafizadeh
En outre, Israël a lancé de nombreuses frappes aériennes sur le territoire syrien, ciblant des sites qui seraient liés au Hezbollah et au Corps des gardiens de la révolution islamique d'Iran. Jusqu'à présent, le gouvernement de Damas s'est contenté de condamner verbalement ces frappes, évitant ainsi les représailles militaires. Toutefois, la poursuite des opérations militaires israéliennes dans l'espace aérien syrien pourrait finir par provoquer une réaction plus forte, poussant la Syrie à s'impliquer plus ouvertement dans le conflit.
Du point de vue des dirigeants syriens, entrer directement dans le conflit au Liban ne servirait pas leurs intérêts stratégiques. L'État syrien est toujours aux prises avec ses propres défis internes, notamment le fait que son autorité reste contestée dans certaines régions. Le gouvernement semble se concentrer sur la consolidation de son pouvoir à l'intérieur du pays et s'engager dans une guerre avec Israël pourrait réduire à néant les gains fragiles qu'il a obtenus depuis la fin d'une guerre civile de grande ampleur. En outre, la Syrie n'est pas encore totalement stable, une grande partie du pays étant toujours en reconstruction et aux prises avec des sanctions internationales, ce qui fait de toute implication dans une guerre régionale une erreur de calcul potentiellement catastrophique.
Il existe plusieurs autres raisons pour lesquelles la Syrie évitera probablement d'entrer dans une confrontation militaire directe avec Israël. D'un point de vue économique, la Syrie s'efforce de se reconstruire après des années de guerre et un autre conflit militaire pourrait anéantir le peu de redressement en cours. Sur le plan militaire, la Syrie ne fait pas le poids face aux forces de défense sophistiquées et bien financées d'Israël. Bien que la Syrie maintienne une présence militaire et qu'elle ait conclu des alliances avec le Hezbollah et l'Iran, ses capacités sont loin d'égaler celles d'Israël.
En outre, le gouvernement syrien est conscient qu'une guerre pourrait entraîner une recrudescence des insurrections à l'intérieur de ses propres frontières. Certains groupes pourraient profiter du chaos de la guerre pour se regrouper et défier à nouveau le gouvernement, risquant ainsi de retomber dans les conditions d'une guerre civile.
En outre, l'histoire a montré que la Syrie a tendance à éviter de s'impliquer directement dans les conflits entre Israël et le Hezbollah. Lors de la guerre de 2006 entre le Hezbollah et Israël, la Syrie s'est abstenue d'entrer dans la mêlée, même si elle a soutenu le Hezbollah sur le plan diplomatique et logistique. Cette neutralité stratégique a permis à la Syrie d'éviter les conséquences dévastatrices d'une guerre directe avec Israël. Il est probable que la même approche sera suivie aujourd'hui.
Le gouvernement syrien est conscient qu'une guerre pourrait entraîner une recrudescence des insurrections à l'intérieur de ses propres frontières
- Majid Rafizadeh
Cependant, l'afflux de réfugiés en provenance du Liban pèse déjà sur la fragile stabilité de la Syrie. Avec plus de 250 000 réfugiés libanais entrant sur le territoire syrien, les ressources déjà très sollicitées du pays sont mises à l'épreuve. Dans un pays qui ne s'est pas encore totalement remis de sa propre crise des réfugiés pendant la guerre civile, cette nouvelle vague de personnes déplacées pourrait déstabiliser davantage l'économie syrienne, affaiblir les services publics et mettre à rude épreuve la cohésion sociale. Les infrastructures du pays sont encore fragiles et l'arrivée d'une importante population de réfugiés pourrait exacerber les vulnérabilités existantes, ce qui pourrait entraîner des troubles.
Il est également important de souligner que les guerres sont par nature imprévisibles et que, même si la Syrie n'est pas directement impliquée dans le conflit avec Israël à l'heure actuelle, il est toujours possible que la guerre au Liban déborde sur le territoire syrien.
En outre, la Syrie pourrait devenir un champ de bataille pour les conflits par procuration entre Israël et l'Iran. Au lieu de s'engager dans une guerre directe avec Israël, l'Iran pourrait choisir d'utiliser le territoire syrien comme base de départ pour des attaques contre des cibles israéliennes, ce qui impliquerait encore davantage la Syrie dans le conflit. Un tel scénario pourrait involontairement entraîner Damas plus profondément dans la guerre, même si le gouvernement tente de l'éviter.
En conclusion, si la guerre d'Israël contre le Hezbollah aura très probablement un impact négatif sur la Syrie, celle-ci devrait continuer à éviter toute implication militaire directe. S'engager dans une guerre avec Israël ne sert pas les intérêts de la Syrie à l'heure actuelle. Le pays se remet encore de sa guerre civile et ses capacités militaires et économiques sont trop faibles pour gérer un conflit régional de grande ampleur. Toutefois, la guerre en cours au Liban et l'afflux de réfugiés pourraient avoir des retombées que la Syrie ne peut ignorer, ce qui pourrait l'entraîner dans un conflit plus large contre sa volonté.
La région reste volatile et la situation pourrait rapidement changer en fonction de l'évolution de la guerre et de la manière dont les acteurs extérieurs, tels que l'Iran et Israël, choisissent de manœuvrer dans ce paysage géopolitique complexe.
Le Dr Majid Rafizadeh est un politologue irano-américain diplômé de Harvard.
X: @Dr_Rafizadeh
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com