Le Royaume-Uni a annoncé, ce mois-ci, qu'il céderait à l'île Maurice la souveraineté sur l'archipel isolé des Chagos. On vous pardonne de n'avoir jamais entendu parler des îles Chagos avant l'annonce du Royaume-Uni et d'ignorer que, plusieurs décennies après la fin de l'Empire britannique, elles demeurent une possession coloniale à des milliers de kilomètres de chez vous.
Cependant, d'un point de vue géostratégique, il s'agit d'un groupe d'îles important dans l'océan Indien, dont les habitants ont été déplacés en 1965 à la suite de la décision du Royaume-Uni de séparer l'archipel de l'île Maurice dans le cadre d'un accord octroyant l'indépendance à cette dernière. Aujourd'hui, le Royaume-Uni tente de se racheter en accordant à l'île Maurice la souveraineté sur les îles Chagos et le retour de la population déplacée.
Parmi les îles – plus de 60 –, l'atoll tropical de Diego Garcia est loué aux États-Unis. La base militaire qui y a été construite dans les années 1960 abrite environ 5 000 membres du personnel américain et britannique. Après le 11 septembre, des bombardiers américains ont lancé des attaques sur l'Afghanistan depuis l'île, tandis que la base a également été utilisée lors de l'invasion de l'Irak en 2003. Dans un contexte de tensions croissantes avec la Chine, l'importance de cette base est devenue de plus en plus évidente.
Naïvement, nous aurions pu penser que l'ancien Empire britannique avait désormais renoncé à toutes ses possessions d'outre-mer. D'où notre surprise d'apprendre qu'il existe encore des exemples de colonialisme physique, en plus des colonialismes économique et politique. Une fois qu'il aura officiellement renoncé au contrôle des îles Chagos, le Royaume-Uni détiendra encore 14 territoires d'outre-mer.
Une fois qu'il aura officiellement renoncé au contrôle des îles Chagos, le Royaume-Uni détiendra encore 14 territoires d'outre-mer.
Yossi Mekelberg
Au-delà du symbolisme évident d'un ancien empire cédant son pouvoir sur un territoire d'outre-mer, il est désormais possible d'envisager cette évolution dans le cadre plus large des relations entre les grandes puissances du Nord et celles du Sud et de réfléchir à la transformation de ces relations en une structure plus coopérative basée sur des intérêts et un respect mutuels, plutôt qu'une structure qui ne sert que les grandes puissances.
L'Empire britannique commençait déjà à s'effacer avant la Seconde Guerre mondiale et ce processus s'est progressivement accéléré au lendemain de la guerre, mettant plus ou moins fin à son pouvoir colonial en Afrique, au Moyen-Orient et, plus récemment, à Hong Kong en 1997. Il est étonnant de constater qu'un ministre du Foreign, Commonwealth and Development Office est toujours en charge des territoires d'outre-mer dans le cadre de ses fonctions officielles. Malgré les critiques des politiciens et des médias de droite, ce dernier acte de décolonisation aurait dû avoir lieu il y a longtemps. Toutefois, il n'est pas encore achevé, car l'accord conclu avec le gouvernement mauricien stipule que le bail de Diego Garcia porte sur une «période initiale» de 99 ans.
En 2019, la Cour internationale de justice a émis un avis consultatif selon lequel la séparation des îles Chagos de la colonie britannique de l'île Maurice était contraire au droit à l'autodétermination de son peuple. Et sans la rétrocession des îles Maurice, la décolonisation de cette dernière n'aura pas été achevée conformément au droit international. Le fait même qu'il ait fallu plus de cinq ans à un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies pour parvenir à un accord respectant un avis consultatif, bien que non contraignant, de l'organe judiciaire principal des Nations unies devrait être une source d'inquiétude. Il reflète à la fois le statut du droit international et la prédominance de la politique de puissance dans les affaires internationales au détriment de la justice ou de l'équité.
Dans les relations entre le Nord, qui comprend principalement les pays à hauts revenus, et le Sud, qui comprend principalement les États d'Amérique latine et d'Afrique, la présence physique des anciennes puissances coloniales est très limitée, mais la mentalité coloniale est loin d'être éradiquée.
Le terme «Sud global» a été inventé par l'activiste politique américain Carl Oglesby à la fin des années 1960 pour désigner un ensemble de pays dominés par le Nord global par le biais de l'exploitation politique et économique. À cette époque, le processus de décolonisation était en grande partie achevé, mais pas entièrement: au Moyen-Orient, par exemple, le Royaume-Uni a mis du temps à partir. La nature du processus a permis une séparation physique, mais a laissé place à de nombreux exemples de dépendance économique et sécuritaire, en plus d'une dépendance psychologique qui perdure encore aujourd'hui.
La présence physique des anciennes puissances coloniales est très réduite, mais la mentalité coloniale est loin d'être éradiquée.
Yossi Mekelberg
Cette situation malsaine n'a pas seulement faussé les relations entre les puissances économiques et militaires du Nord, elle a aussi gravement affecté la construction de l'État et de la nation dans les pays postcoloniaux. Trop souvent, une relation symbiotique a uni les anciens colonisateurs et les États postcoloniaux, qui a profité aux premiers plutôt qu'aux seconds en termes d'exploitation des ressources naturelles et humaines et de renforcement de la prospérité économique des pays déjà riches, tout en perpétuant la pauvreté et la fuite des cerveaux dans les pays plus pauvres. En outre, dans les pays moins développés, cette relation faussée a également encouragé les gouvernements corrompus, autoritaires et nationalistes, créant encore plus de pauvreté, d'inégalité et de conflit.
Rendre les îles Chagos à l'île Maurice et permettre à ceux qui ont été exilés de force de rentrer chez eux est une évolution bienvenue, mais aussi, malheureusement, un acte de justice qui se fait attendre. Toutefois, il pourrait également s'agir d'un petit pas vers la fin du contrôle par le Royaume-Uni d'autres territoires d'outre-mer qui sont des reliques d'époques passées, comme dans le cas de Gibraltar, qui tend inutilement les relations avec l'Espagne, ou des îles Malouines, pour lesquelles le Royaume-Uni est entré en guerre avec l'Argentine en 1982.
Aujourd'hui, la logique qui consiste à conserver de telles reliques est davantage liée à la nostalgie d'un empire disparu depuis longtemps qu'à un quelconque objectif stratégique ou économique. On peut également penser que le fait que les trois principaux paradis fiscaux pour les entreprises – les îles Vierges britanniques, les îles Caïmans et les Bermudes – soient tous des territoires britanniques d'outre-mer leur donne de la valeur aux yeux de l'élite économique du Royaume-Uni. C'est pourquoi, pour certains, il n'est pas souhaitable de leur dire adieu et de risquer cet avantage.
La fin du contrôle physique de territoires très éloignés est un grand pas en avant. Mais l'objectif ultime doit être de libérer de nombreuses anciennes colonies de l'emprise que les anciennes puissances coloniales et superpuissances exercent encore sur elles, et de les soutenir véritablement, ou du moins de ne pas les empêcher d'atteindre les objectifs de développement durable des Nations unies.
Jusqu'à présent, nous n'avons vu que des approches à court terme de ce que le Sud pouvait faire pour les pays plus riches et plus puissants, ce qui a eu des inconvénients évidents pour les pays à faible revenu. Mais compte tenu de l'augmentation de la radicalisation et de l'immigration clandestine, le sous-développement a également un impact déstabilisant sur les pays les plus développés. Ainsi, la décolonisation dans sa nouvelle phase devrait inclure non seulement la restitution des territoires britanniques d'outre-mer restants, mais aussi le soutien à l'autonomisation et au développement humain, politique et social de leurs populations.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme Mena à Chatham House.
X: @YMekelberg
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com