L’Europe doit veiller à ne pas perdre le Golfe

Le partenariat stratégique de l’UE avec la région du Golfe, la nomination d’un représentant spécial de l’UE pour le Golfe et la tenue du tout premier dialogue structuré sur la sécurité en janvier 2024 à Riyad sont autant d’exemples des progrès accomplis. (AFP)
Le partenariat stratégique de l’UE avec la région du Golfe, la nomination d’un représentant spécial de l’UE pour le Golfe et la tenue du tout premier dialogue structuré sur la sécurité en janvier 2024 à Riyad sont autant d’exemples des progrès accomplis. (AFP)
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Publié le Lundi 14 octobre 2024

L’Europe doit veiller à ne pas perdre le Golfe

L’Europe doit veiller à ne pas perdre le Golfe
  • Les relations entre l’UE et le CCG ont connu des progrès significatifs au niveau institutionnel et au niveau politique supérieur au cours des deux dernières années
  • Le partenariat stratégique de l’UE avec la région du Golfe, la nomination d’un représentant spécial de l’UE pour le Golfe et la tenue du tout premier dialogue structuré sur la sécurité en janvier 2024 à Riyad sont autant d’exemples des progrès accomplis

Le 16 octobre, l’UE et le CCG tiendront leur tout premier sommet des dirigeants à Bruxelles. Cette rencontre a lieu 36 ans après la signature de l’accord de coopération entre l’UE et le CCG, et à un moment où les pays du Golfe sont en pleine mutation, et à un moment où la situation sécuritaire au Moyen-Orient est plus volatile et explosive que jamais, menaçant d’engloutir toute la région dans de nouvelles violences et destructions.

Les relations entre l’UE et le CCG ont connu des progrès significatifs au niveau institutionnel et au niveau politique supérieur au cours des deux dernières années. Le partenariat stratégique de l’UE avec la région du Golfe, la nomination d’un représentant spécial de l’UE pour le Golfe et la tenue du tout premier dialogue structuré sur la sécurité en janvier 2024 à Riyad sont autant d’exemples des progrès accomplis. Dans ce contexte, le sommet UE-CCG constituera une nouvelle étape importante.

Entre-temps, nous devons nous demander si l’interaction et le dialogue accrus produisent réellement les résultats désirés, à savoir une analyse et une compréhension communes qui ont un impact sur les développements sur le terrain. Les preuves sont rares, c’est le moins que l’on puisse dire, et il est fort douteux que le sommet produise quoi que ce soit de différent. Cependant, des résultats tangibles sont désespérément nécessaires, et sans eux, le fossé de perception entre l’UE et le CCG risque de s’agrandir.

Tout commence par la sécurité. Pour les États du CCG, il ne peut y avoir de voie durable vers un développement économique régional plus large sans que les éternelles questions de sécurité qui persistent ne soient abordées de manière efficace. Il s’agit notamment, en ce moment même, de la crise actuelle à Gaza, de la menace d’une guerre régionale entre l’Iran et Israël, de la sécurité maritime, de la prolifération nucléaire et de la menace de l’extrémisme associée au rôle des acteurs non-étatiques violents.

De leur côté, les États du CCG ont mené des initiatives diplomatiques, encouragé les partenariats économiques et joué un rôle de médiateur dans les conflits, tout en essayant de mieux profiter de leur influence sur la dynamique politique et sécuritaire du Moyen-Orient élargi.

Parmi les exemples, citons l’élimination des dissensions au sein du CCG, l’atténuation du conflit au Yémen, l’ouverture de canaux de communication avec l’Iran et la facilitation des échanges de prisonniers entre la Russie et l’Ukraine. L’importance globale de l’agence du CCG à cet égard commence seulement à être comprise par les cercles politiques européens.

Les réponses européennes aux crises mentionnées ci-dessus ont entre-temps laissé les États du CCG perplexes. Les attaques du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, suivies du carnage perpétré par Israël sur les Palestiniens depuis lors, ont montré plus clairement que jamais que la violence au Moyen-Orient ne cessera pas tant qu’une solution juste à la question palestinienne n’aura pas été trouvée. Toutefois, sur cette question clé, les États du CCG ne considèrent pas que l’Europe agisse de manière cohérente ou qu’elle cherche volontairement à trouver une solution par le biais d’une politique étrangère solide et adéquate. Au contraire, et si l’on compare avec la réponse de l’UE à l’agression russe en Ukraine, l’Europe est perçue comme agissant selon un double standard, se forgeant sa propre vision des droits de l’homme, du droit humanitaire et de la justice. Il en résulte une grave atteinte à la crédibilité de l’Europe qui s’étend même à la jeune population du Golfe.

Si l’Europe n’est pas prête à adopter une ligne de conduite plus équilibrée et plus substantielles en ce qui concerne la question palestinienne, les dommages causés ne pourront pas être inversés. L’effort conjoint récemment annoncé entre certains États européens et le groupe de contact pour le Moyen-Orient dirigé par l’Arabie saoudite en vue d’une solution politique de la question palestinienne est certainement une étape bienvenue. Cependant, des mesures plus concrètes sont nécessaires, notamment la reconnaissance à l'échelle européenne de l’État de Palestine et un soutien européen clair aux efforts entrepris par la Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale afin de créer des précédents juridiques pour aller de l’avant. Dans l’ensemble, alors que les États du CCG sont prêts à utiliser tous les outils à leur disposition pour apaiser les tensions, y compris en envoyant ces messages à l’Iran, l’Europe doit être perçue comme entreprenant un effort similaire lorsqu’il s’agit de l’Iran.

En dehors de la crise de Gaza, il convient également d’accorder une plus grande attention à la question de la sécurité maritime, compte tenu de la menace qu’elle représente pour le commerce mondial et la liberté de navigation. Si la mission européenne Aspides en mer Rouge a été bien accueillie dans le Golfe, elle n’est pas considérée comme suffisamment complète pour s’attaquer au problème. L’extension de la mission, les efforts coordonnés visant à réduire les capacités des Houthis, y compris l’interdiction des livraisons d’armes, ainsi que la coopération avec les marines du CCG, devraient être pris en considération.

La sécurité maritime est un domaine dans lequel l’UE devrait apporter une contribution plus directe en matière de sécurité, étant donné l’impact qu’elle a sur les chaînes d’approvisionnement et les conséquences économiques pour l’Europe proprement dite.

Enfin, il est grand temps que les États du CCG et l’UE considèrent l’instabilité générale en Afrique du Nord et au Levant comme un projet commun essentiel pour l’avenir proche, car le délabrement continu des États et l’aggravation des clivages économiques et sociaux représentant des menaces permanentes dans le "voisinage commun" des deux régions. Une approche plus large de type "plan Marshall" des pays d’Afrique du Nord et du Levant, combinant la réforme institutionnelle, le renforcement de l’État et l’accent mis sur les pratiques de bonne gouvernance, est nécessaire pour mettre fin à la spirale descendante actuellement en cours.

Il existe de nombreux autres domaines qui nécessitent une action plus forte et mieux coordonnée de la part de l’UE et du CCG. Le prochain sommet UE-CCG ne sera pas seulement l’occasion d’ouvrir la voie à une véritable coordination en matière de sécurité, mais aussi de poursuivre le travail accompli sur les fronts de l’économie, de l’énergie et des relations interpersonnelles.

Les pays du CCG s’adaptent à un environnement qui évolue rapidement et s’efforcent de renforcer leur autonomie stratégique tout en relevant les défis régionaux et internationaux. Leurs perspectives dépendront de leur capacité à gérer ces facteurs et à tirer parti des nouvelles opportunités qui se présenteront dans une région qui reste instable mais pleine de potentiel. Pour l’heure, les États du CCG restent fermement convaincus que les pays de l’UE peuvent et doivent jouer un rôle plus actif dans la recherche de solutions aux crises régionales, compte tenu des outils diplomatiques et de politique étrangère dont ils disposent. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’un échec dans cet aspect aura des conséquences.

Abdulaziz Sager est le président du Gulf Research Center

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com