Le meurtre d'enfants, clé de voûte de la guerre d'Israël contre Gaza

Le corps sans vie d'un enfant palestinien, tué lors d'une frappe israélienne, porté par son cousin, à Deir al-Balah, à Gaza, le 20 août 2024. (Reuters)
Le corps sans vie d'un enfant palestinien, tué lors d'une frappe israélienne, porté par son cousin, à Deir al-Balah, à Gaza, le 20 août 2024. (Reuters)
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Publié le Mercredi 21 août 2024

Le meurtre d'enfants, clé de voûte de la guerre d'Israël contre Gaza

Le meurtre d'enfants, clé de voûte de la guerre d'Israël contre Gaza
  • Un aspect de la guerre n'a guère retenu l'attention : l'assassinat délibéré d'enfants par Israël
  • Au cours des quelque 60 dernières années, aucune guerre n'a connu de bilan aussi lourd en termes de mortalité ou de blessures infantiles

Les enfants ont toujours été les premières victimes des guerres. Toutefois, dans les guerres classiques, les combattants les prennent rarement pour cible de manière délibérée. Mais Gaza est loin d'être une guerre classique. Il s'agit avant tout d'une guerre contre des civils, des non-combattants. Au cours des dix derniers mois, sous le couvert de la légitime défense d'Israël, les civils de Gaza ont été bombardés dans leurs maisons, leurs hôpitaux, leurs écoles des Nations unies, leurs abris de fortune et alors qu'ils couraient – en masse – pour sauver leur vie après avoir reçu de multiples ordres d'évacuation. Plus de 80 % des 2,2 millions d'habitants de Gaza sont aujourd'hui déplacés et moins de 10 % de l'enclave est considérée comme sûre.

Selon les lois de la guerre, les civils, en particulier les femmes et les enfants, doivent être épargnés et protégés. Gaza s'avère une exception cruelle et honteuse.

Alors que le bilan officiel de la guerre a dépassé, la semaine dernière, la barre inquiétante des 40 000 morts palestiniens, il convient de noter qu'au moins la moitié des victimes sont des femmes et des enfants. Quarante pour cent du total des morts, soit 16 000, sont des enfants. Parmi eux, 2 100 avaient moins de deux ans. Au moins 17 000 Palestiniens sont aujourd'hui orphelins ou n'ont pas de parents vivants pour les prendre en charge. Pas moins de 12 000 enfants sont blessés et un nombre indéterminé parmi eux ont perdu au moins un membre.

Des milliers d'enfants de Gaza ont besoin d'une aide psychologique, car ils souffrent de traumatismes et de chocs. Beaucoup d'entre eux ne s'en remettront jamais. Plus de 47 % de la population de Gaza sont des enfants. Selon le Bureau central palestinien des statistiques, le nombre d'enfants de moins de 18 ans dans la bande de Gaza est estimé à 544 776 garçons et 523 210 filles, dont environ 15 % (341 790) ont moins de cinq ans.

La guerre d'Israël contre Gaza a fait couler beaucoup d'encre. Des hommes politiques, des rapporteurs des Nations unies, des travailleurs humanitaires et des juristes internationaux ont révélé beaucoup de choses sur le carnage en cours. La guerre a été disséquée sous les angles politique, géopolitique, sécuritaire et humanitaire. Mais au moment où le monde se concentre sur les efforts politiques pour parvenir à un cessez-le-feu extrêmement difficile à obtenir et acheminer l'aide humanitaire de manière durable et apolitique, un aspect de la guerre n'a guère retenu l'attention : l'assassinat délibéré d'enfants par Israël.

Au cours des quelque 60 dernières années, aucune guerre n'a connu de bilan aussi lourd en termes de mortalité ou de blessures infantiles. La guerre américaine au Viêt Nam a coûté la vie à 882 000 Vietnamiens, dont 84 000 enfants, soit moins de 10 % du total. Le conflit en Bosnie de 1992 à 1995 a coûté la vie à 200 000 personnes, dont 12 000 enfants, soit 6 % du total.

Pendant l'occupation américaine de l'Afghanistan, qui a duré près de 20 ans, au moins 100 000 Afghans ont été tués, dont quelque 28 000 enfants, soit 28 % du total ; un chiffre stupéfiant si l'on considère que les États-Unis ont prétendu s'être appuyés sur des attaques ciblées.

La guerre américaine en Irak a coûté la vie à au moins 250 000 Irakiens, dont 9 000 enfants, soit 3,6 % du total.

Au cours des trois mois qu'a duré le génocide rwandais de 1994, environ 800 000 personnes ont été tuées, dont 300 000 enfants, soit 40 %. Ce taux effroyable a établi un triste record, que seul Israël a aujourd'hui égalé.

C'est peu dire qu'Israël prend délibérément pour cible les civils dans sa guerre de Gaza. Les images, les témoignages et les faits sinistres en témoignent. Et pourtant, Israël n'a pas modifié sa politique après plus de 300 jours de bombardements incessants, malgré les déclarations des Nations unies et d'autres observateurs indépendants. L'assassinat délibéré d'enfants est la clé de voûte de la guerre d'Israël contre Gaza.

Cependant, il est important de noter que les faits et les statistiques ne reflètent pas la réalité du massacre qu'Israël mène contre les enfants palestiniens. Aucun responsable israélien n'a admis que ces milliers d'enfants sont des victimes innocentes dans ce conflit. Il n'y a eu ni mea culpa, ni excuses, ni regrets.

Chacun de ces enfants porte un nom. Chacun est issu d'une famille ayant des rêves et des ambitions. L'une de ces victimes est Hind Rajab, une fillette palestinienne de six ans qui a été tuée par des soldats israéliens en janvier. Les troupes ont tiré plus de 300 balles sur une ambulance, tuant Hind et six membres de sa famille, ainsi que deux ambulanciers qui tentaient de la secourir. Sous la pression, les États-Unis ont exigé une enquête. Israël n'a jamais obtempéré. Le meurtre tragique de Hind est devenu le symbole de l'assassinat par Israël de milliers d'enfants palestiniens à Gaza.

Plus récemment, il y a eu l'histoire déchirante de jumeaux nouveau-nés qui ont été tués par une frappe israélienne à Gaza alors que leur père se trouvait dans un bureau du gouvernement local pour déclarer leur naissance. Asser, un garçon, et Ayssel, une fille, n'avaient que quatre jours lorsqu'ils ont été tués alors que leur père, Mohammed Abou al-Qoumsan, était aller se procurer leurs actes de naissance. Il est peu probable qu'Israël soit tenu pour responsable de leur assassinat.

Au cours des quelque 60 dernières années, aucune guerre n'a connu de bilan aussi lourd en termes de mortalité ou de blessures infantiles.

                                                            Osama al-Sharif

Alors que la Cour pénale internationale envisage de délivrer des mandats d'arrêt contre Benjamin Netanyahou et Yoav Gallant pour crimes de guerre, le carnage à Gaza se poursuit, avec des bébés tués et des mères qui perdent leurs enfants. Tel est désormais le quotidien de Gaza.

Si ces deux attaques ne sont pas considérées comme des crimes de guerre, que peut-on considérer comme tels ? Des centaines de cas similaires passent inaperçus chaque jour. Quelle que soit l'issue des pourparlers de cessez-le-feu en cours, Israël doit être tenu pour responsable de l'assassinat délibéré d'enfants palestiniens. Une fois que le calme sera rétabli et que des enquêteurs indépendants seront autorisés à pénétrer dans l'enclave assiégée, le nombre total de civils tués augmentera considérablement, de même que le pourcentage d'enfants victimes.

La guerre génocidaire d'Israël à Gaza n'aurait pas duré aussi longtemps sans le soutien inconditionnel des États-Unis et l'ensemble de l'Occident. En vertu du droit international, ces pays sont complices du massacre en cours. Verrons-nous un jour ces crimes contre l'humanité punis ? C'est peu probable. L'ordre mondial actuel est conçu de telle sorte que le coupable – Israël en l'occurrence – sera innocenté ou légèrement réprimandé. Cela en dit long sur cet ordre qui a fait son temps.

 

Osama al-Sharif est journaliste et commentateur politique, basé à Amman.  

X: @plato010 

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com