L’Allemagne agit contre l’influence iranienne, mais cela est-il suffisant?

La police allemande a inspecté le Centre islamique de Hambourg le 16 novembre 2023, en raison de liens présumés avec le Hezbollah, soutenu par l’Iran. (AFP)
La police allemande a inspecté le Centre islamique de Hambourg le 16 novembre 2023, en raison de liens présumés avec le Hezbollah, soutenu par l’Iran. (AFP)
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Publié le Jeudi 01 août 2024

L’Allemagne agit contre l’influence iranienne, mais cela est-il suffisant?

L’Allemagne agit contre l’influence iranienne, mais cela est-il suffisant?
  • Nombreux sont ceux qui, dans les mondes arabe et islamique, mettent en garde depuis longtemps contre l’émergence de nouvelles formes d’extrémisme, cette fois-ci nées et élevées dans les pays européens
  • Le gouvernement allemand a accusé le centre de Hambourg, qui tient des liens avec l’Iran, d’avoir un agenda politique qui n’est pas purement religieux

Je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer que la mesure prise la semaine dernière pas l’Allemagne pour interdire le Centre islamique de Hambourg, une association qui était l’objet d’une enquête depuis plusieurs mois en raison de ses liens avec le guide suprême iranien, et des groupes militants du Moyen-Orient tels que le Hezbollah, n’a reçu qu’une couverture relativement limitée de la part de la presse occidentale.

Cette nouvelle importante a peut-être été noyée dans la probable nomination de Kamala Harris à la présidence des États-Unis ou par l’ouverture spectaculaire des Jeux olympiques à Paris. Seuls certains médias du Moyen-Orient et d’Israël lui ont accordé l’importance qu’elle méritait, vu que l’Iran a été accusé de se mêler aux affaires de divers pays dans la région depuis des décennies. Progressivement, la plupart des puissances occidentales semblent prendre conscience des activités criminelles directes ou indirectes de l’Iran, qui s’insinuent dans leurs villes.

Nombreux sont ceux qui, dans les mondes arabe et islamique, mettent en garde depuis longtemps contre l’émergence de nouvelles formes d’extrémisme, cette fois-ci nées et élevées dans les pays européens, en particulier au sein des groupes de migrants. Il en résulte que des loups solitaires ou des militants organisés incubent parmi d’autres personnes impliquées dans des organisations similaires dispersées dans la plupart des pays européens.

Il est de même évident que depuis des décennies, ces organisations ont joué un rôle et exercé une grande influence en servant de forum de ralliement et de centres d’endoctrinement pour divers résidents et nouveaux arrivants en Allemagne et dans d’autres pays européens. Elles ont promu parmi les minorités un récit proche de la vision du monde du régime iranien, en semant les graines d’une identité politique islamiste et d’un ensemble de valeurs qui promeuvent la résistance, le militanisme et, dans certains cas, la violence.

Ces valeurs ne se contredisent pas seulement avec les valeurs démocratiques et libérales du nouveau pays d’accueil des migrants, mais elles vont aussi, dans de nombreux cas, jusqu’à propager un sentiment d’atteinte, d’opposition et même d’appel au renversement des systèmes de ces pays, qui garantissent la liberté de culte, la liberté d’expression, la démocratie et la liberté pour tous.

Le gouvernement allemand a accusé le centre de Hambourg, qui tient des liens avec l’Iran, d’avoir un agenda politique qui n’est pas purement religieux, et il s’est avéré qu’il s’agissait d’une “organisation islamiste extrémiste qui poursuit des objectifs anticonstitutionnels”.

Le ministère allemand de l’intérieur a également déclaré que ses enquêtes avaient révélé que le centre était un “représentant direct du guide suprême iranien”, et qu’il diffusait l’idéologie du régime de Téhéran “de manière agressive et militante”. Il cherche à “établir un régime autoritaire et théocratique”, au lieu d’une démocratie, a déclaré le ministère, en accusant le centre de soutenir la “dimension militaire et politique” d’organisations similaires au Hezbollah.

Comme prévu, Téhéran a réagi avec fureur, convoquant l’ambassadeur d’Allemagne en Iran pour condamner une “action hostile” qu’il a qualifiée d’un “exemple clair d’islamophobie”. Elle a affirmé que de telles actions contredisaient tous les enseignements des “religions abrahamiques”, qu’elles violaient la liberté d’expression et qu’elles encourageaient la violence et l’extrémisme.

L'action de l’Allemagne semble plutôt mesurée et réservée, et même assez limitée dans sa nature. Les autorités ont cherché seulement 55 adresses à travers le pays qui seraient liées au centre interdit, et ont saisi un “grand nombre d’appareils informatiques” ainsi que de l’argent liquide et des documents liés au Hezbollah et à Hamas. L’interdiction a aussi atteint plusieurs organisations liées au centre de Hambourg, dont quatre mosquées chiites.

“L'action de l’Allemagne semble plutôt mesurée et réservée, et même assez limitée dans sa nature.

                                                    Mohamed Chebaro

L'Allemagne, à l’image de nombreuses nations occidentales, s'est montrée exceptionnellement tolérante, voire beaucoup trop indulgente, à l'égard des foyers d'extrémisme qui se développent sur son sol. Ces pays ont donné asile à des réfugiés persécutés, et la réalité fut que ces organisations ont évolué pour devenir des centres pour la pensée et l’enseignement toxiques qui se répandent parmi les exilés et les minorités de toutes les parties du monde. Certains de ces individus deviennent les fantassins d'idéologies, d'organisations, de mouvements et de régimes qui ont poussé un nombre d'entre eux à fuir leur pays d'origine.

Il est indéniable que la dernière guerre de Gaza a contribué à mettre en lumière certaines facettes de ces centres religieux qui, jusqu'à récemment, étaient considérés comme de simples lieux de culte, malgré tous les avertissements contraires des pays arabes et musulmans. Les nations européennes ont soudainement découvert qu'il s'agissait toujours de centres propageant des croyances anti-occidentales et surtout antisémites.

Fondé par des immigrés iraniens en 1953, le Centre islamique de Hambourg était surveillé par les services de renseignements intérieurs allemands depuis un certain temps. En novembre de l'année dernière, les enquêteurs ont effectué des descentes dans ses locaux et dans d'autres sites connexes dans sept des 16 états de l'Allemagne, et ont trouvé des “preuves considérables” qui ont confirmé les soupçons et ont été suffisantes pour donner l’ordre de sa fermeture.

Contrairement aux États-Unis, qui ont interdit le Corps des gardiens de la révolution islamique d'Iran en 2019, la plupart des pays occidentaux, y compris l'Allemagne, ont jusqu'à présent refusé d'interdire le groupe. Elles ont préféré proscrire ou sanctionner des éléments du Hamas et du Hezbollah, malgré le fait que l'Allemagne et de nombreuses autres nations de l'UE soient confrontées à des menaces liées à l'Iran qui ont récemment mobilisé de nouveaux acteurs en raison de la guerre entre Israël et le Hamas.

Selon une enquête du Wall Street Journal publiée en mars, la menace terroriste en Europe n'émane plus seulement des affiliés et acteurs traditionnels de l'extrême droite ou de Daesh, mais aussi de l'Iran et des organisations liées à l'Iran comme le Hamas et le Hezbollah.

Jusqu’à une période récente, ces organisations militantes utilisaient l'Europe comme centre d'affaires et de collecte de fonds et comme lieu sûr pour leurs agents. Cependant, la guerre de Gaza en cours a montré que ces groupes et l'Iran ont pivoté vers la préparation d'assassinats et de sabotages en Europe, en plus de l'organisation de manifestations qui les aident à recruter encore plus de nouvelles personnes à leur cause.

De nombreux résidents originaires du Moyen-Orient et des pays européens à majorité musulmane se méfient et s'étonnent depuis longtemps de la tolérance des autorités occidentales face à la multiplication des mosquées gérées par des organisations peu scrupuleuses, souvent liées à des groupes de donateurs douteux.

Peu de ces organisations ont jamais tenté de cacher leur narration toxique ou leurs principes idéologiques qui s’opposent aux valeurs occidentales de tolérance, de liberté et de démocratie. Pendant de nombreuses années, les nations occidentales ont choisi de tolérer les activités commerciales, les collectes de fonds et les activités louches de ces groupes, qui ont souvent frôlé la criminalité.

Il n’y a aucun doute que la fermeture de cet “avant-poste du régime inhumain iranien est un véritable coup porté à l'extrémisme islamiste”, comme l'a affirmé le gouvernement régional de Hambourg. Mais on peut craindre que cette action de l'Allemagne soit trop minime et qu’elle soit venue trop tard, car l'influence de l'enseignement de ces centres religieux s'est répandue et s’est enracinée dans de nombreuses communautés à travers l'Europe.

 

Mohamed Chebaro est un journaliste anglo-libanais, consultant en médias et formateur. Il a plus de vingt-cinq ans d’expérience dans la couverture de la guerre, du terrorisme, de la défense, de l’actualité et de la diplomatie.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com