Le "dandy de la République" est mort: ex-ministre des Affaires étrangères et fidèle de François Mitterrand, figure du barreau et ancien président du Conseil constitutionnel éclaboussé par le scandale Elf, Roland Dumas s'est éteint mercredi à l'âge de 101 ans.
Avec sa personnalité de négociateur roué, d'esthète et de séducteur, il a traversé la seconde partie du XXe siècle dans les prétoires et sous les ors de la République.
Une carrière exceptionnelle, mais ternie par le scandale Elf. Sa condamnation pénale dans le dossier de la succession du sculpteur Giacometti et des sorties flirtant avec l'antisémitisme au milieu des années 2010 ont aussi jeté une ombre sur cette figure du mitterrandisme.
Malgré ces condamnations et polémiques, "il a marqué de son empreinte l'histoire de la Ve République", a salué le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti.
"Roland Dumas avait construit sa vie comme un roman d'aventures", a relevé l'ancien président socialiste François Hollande. "Il restera dans nos mémoires comme le ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand qui a joué un rôle décisif lors de la chute de Berlin puis dans la première guerre d'Irak".
Jacques Attali, ancien conseiller spécial de François Mitterrand à l'Elysée, a rappelé qu'"après avoir vu son père être fusillé par les nazis, (Roland Dumas) fut un grand acteur de la relation franco-allemande".
La vie de Roland Dumas, né à Limoges le 23 août 1922, a basculé en mars 1944, lorsque son père a été fusillé.
- "Personnage de roman" -
Lui-même ancien résistant, il rencontre François Mitterrand durant l'après-guerre. Les deux hommes, qui partagent le même goût pour les arts et la séduction, deviennent proches après l'élection en 1956 de Roland Dumas comme député de la Haute-Vienne.
Me Dumas est ensuite est aux premières loges de nombreux dossiers. En pleine décolonisation, il défend l'organisateur des réseaux du financement du Front de libération nationale (FLN) algérien ou plaide pour la partie civile dans l'enlèvement de l'opposant marocain Ben Barka.
L'avocat collectionne les clients médiatiques: les peintres Marc Chagall ou Pablo Picasso, le psychanalyste Jacques Lacan ou l'écrivain Jean Genet, pour qui il nourrit une affection particulière.
Homme de réseaux, il rejoint la loge maçonnique du Grand Orient en 1980.
"C'était un personnage de roman. En tant qu'avocat, il était le talent et l'humilité: quand vous le rencontriez, vous appreniez quelque chose", a pour sa part commenté auprès de l'AFP l'avocat Marcel Ceccaldi, un de ses compagnons de prétoire.
En mai 1981, il est le seul fidèle que François Mitterrand n'appelle pas au gouvernement, préférant en faire son émissaire secret auprès du Libyen Mouammar e Kadhafi ou du Gabonais Omar Bongo.
D'abord européen frileux, il est nommé ministre des Affaires européennes en 1983. Anticolonialiste, Roland Dumas devient diplomate.
- "Envie d'en finir" -
"J'en garde le souvenir d’un personnage de roman qui a beaucoup fait parler de lui par ses aventures amoureuses, certaines frasques, mais qui était aussi un homme courageux dans la Résistance, d'une fidélité exceptionnelle à l'égard de François Mitterrand", a réagi Jean Glavany, président de l'Institut François Mitterrand, auprès de l'AFP.
M. Dumas a incarné "une part de notre histoire collective, l'histoire des socialistes bien sûr, mais aussi l'histoire de France", a réagi Olivier Faure, premier secrétaire du PS.
En 1995, François Mitterrand le nomme à la présidence du Conseil constitutionnel pour succéder à Robert Badinter. Froidement accueilli par les Sages, il parvient à les séduire et à les convaincre de valider les comptes de campagne de la présidentielle de 1995, malgré de lourds soupçons.
Trois ans plus tard, l'affaire Elf éclate. Soupçonné d'avoir favorisé l'embauche d'une de ses nombreuses maîtresses, Christine Deviers-Joncour, dans des sociétés du groupe pétrolier pour des salaires de complaisance, Roland Dumas est mis en examen.
Il démissionne de la présidence du Conseil constitutionnel en mars 2000, une première. Condamné en première instance, le "dandy de la République" est relaxé en appel en 2003.
Il avouera avoir eu "l'effroyable envie d'en finir" pendant cette affaire mais estimera plus tard "avoir vécu pleinement".