PARIS: Jordan Bardella le répète, il "refusera d'être nommé" à Matignon sans majorité absolue à l'issue des législatives. Un "appel à la mobilisation" des électeurs, selon ses lieutenants, mais aussi une précaution supplémentaire du RN, déjà en train de lisser son programme radical.
Besoin de «légitimité»
"Si demain je suis en capacité d'être nommé à Matignon et que je n'ai pas de majorité absolue (...) eh bien je refuserai d'être nommé", a lancé le président du Rassemblement national mardi soir sur France 2.
"Un Premier ministre de cohabitation avec une majorité relative ne pourrait pas changer les choses", a-t-il complété mercredi.
"C'est pour que les Français viennent voter", explique Renaud Labaye, bras droit de Marine Le Pen et secrétaire général du groupe RN à l'Assemblée nationale. Le parti d'extrême droite reste marqué par la démobilisation des régionales 2021, durant lesquelles il n'était pas parvenu à remporter la moindre région, malgré des sondages plutôt favorables. "On n'a pas été traumatisé, mais presque", reconnaît M. Labaye, qui espère cette fois une "participation élevée" pour renforcer la "légitimité" de l'élection.
Après deux ans d'usure des macronistes, privés de majorité absolue à l'Assemblée nationale, les cadres du RN veulent avoir les coudées franches s'ils remportent les législatives le 7 juillet.
Car le risque est réel d'une paralysie de l'Assemblée avec trois blocs sans majorité claire - Nouveau Front populaire, macronistes et RN - et des députés qui pourraient faire tomber le gouvernement à tout moment avec des motions de censure à répétition.
Une autre menace pourrait planer: la constitution encore très hypothétique d'une vaste coalition anti-extrême droite. "Même en cas de majorité relative (du RN) proche de l'absolue (289 sièges), on peut imaginer une alliance de tous les autres blocs", estime la constitutionnaliste Anne Levade.
Non à Matignon ? A voir...
La sentence de Jordan Bardella semble toutefois moins définitive qu'il n'y paraît. Une majorité relative assez large pourrait changer la donne.
"On verra après le second tour s'il y a des gens, peut-être chez LR, qui n'ont pas suivi (le rallié) Eric Ciotti à l'instant T et qui veulent bâtir une majorité avec le RN", temporise Renaud Labaye, par exemple "260 députés (RN) et 30 députés autour de Ciotti" pour un "contrat de coalition".
Sur Public Sénat, le député Julien Odoul a aussi renvoyé la question au "choix des Français", en demandant une "majorité stable" pour que Jordan Bardella ne soit "pas à la merci de la première motion de censure" de l'Assemblée nationale.
L'enjeu est d'avoir les "marges de manoeuvre" pour gouverner, sans trop s'abîmer avant la présidentielle de 2027 à laquelle Marine Le Pen entend concourir.
"Jordan Bardella n'a intérêt ni pour lui ni pour le pays à gérer la pénurie et faire passer un budget au 49.3" cet automne, insiste Renaud Labaye.
«Refus d'obstacle» ?
La sortie de Jordan Bardella s'inscrit plus largement dans une campagne médiatique pour arrondir l'image radicale du parti à la flamme et tenter de convaincre qu'il est capable d'exercer le pouvoir.
Le patron du RN, qui avait déjà temporisé sur l'abrogation de la réforme des retraites d'Emmanuel Macron, a édulcoré les positions lepénistes sur un autre volet mercredi: la politique étrangère. Il "n'entend pas remettre en cause les engagements" de la France en matière de défense, a-t-il affirmé, alors qu'il y a seulement deux ans Marine Le Pen prônait la sortie du commandement intégré de l'Otan.
"Le RN réclame à cor et à cri son arrivée au pouvoir, mais le plan pour Matignon n'était pas encore prêt" côté programme, juge le sociologue Etienne Ollion, spécialiste du Parlement.
Et les concurrents se sont engouffrés dans la brèche. Chez "Jordan Bardella, il y a de moins en moins de programme et de plus en plus de conditions" pour briguer Matignon. "Ça commence à ressembler à un refus d'obstacle", l'a taclé le Premier ministre Gabriel Attal.
Le RN doit en outre de nouveau composer avec les controverses qui accompagnent les dérapages de certains de ses candidats sur les réseaux sociaux. Mercredi, le parti a retiré son soutien à un prétendant dans le Morbihan, Joseph Martin, qui avait publié un message antisémite sur X (ex-Twitter) en 2018.