MEXICO: Le Mexique se rend aux urnes dimanche et s'apprête à élire, sauf coup de théâtre, la première femme présidente de l'histoire du pays, gangréné par la violence lié au narcotrafic et où l'ONU décompte une dizaine de féminicides par jour.
"Un jour historique. Je me sens très contente", a déclaré à la presse la favorite de l'élection présidentielle, la candidate de la gauche au pouvoir Claudia Sheinbaum , après avoir voté dans le sud de la capitale Mexico.
En trois mois de campagne, l'ex-maire de Mexico, candidate du Mouvement pour la régénération nationale (Morena), a régulièrement devancé de 17 points en moyenne sa rivale de centre-droit, Xochitl Galvez, soutenue par une coalition de trois partis.
Claudia Sheinbaum a confié qu'elle n'avait pas voté pour elle-même à la présidentielle, mais pour une pionnière de la gauche mexicaine, Ifigenia Martinez, 93 ans, en hommage à sa lutte. "Que vive la démocratie!", a conclu Mme Sheinbaum.
Au Mexique, où 98,3 millions de personnes sont inscrites sur les listes électorales selon l'Institut national électoral (INE), les bulletins de vote prévoient une case vide permettant de voter pour des candidats non enregistrés.
"Je suis très optimiste", a déclaré la candidate de l'opposition Xochitl Galvez après avoir voté. L'ex-sénatrice de centre-droit a déclaré pendant la campagne qu'elle misait sur un "vote caché" en sa faveur, qui aurait échappé aux sondages.
Mme Galvez a voté après avoir longtemps attendu sous un soleil de plomb, comme beaucoup de Mexicains. Plusieurs bureaux de vote ont ouvert avec du retard en plusieurs endroits du pays, d'après des témoignages rapportés par Milenio TV.
« Le temps des femmes »
Le troisième candidat, Jorge Alvarez Maynez, 38 ans, a emmené son jeune fils dans l'isoloir pour une leçon de civisme.
"C'est une démocratie imparfaite (...) mais nous avons avancé en tant que pays", a déclaré le représentant du Mouvement citoyen (MC) après avoir voté.
La violence a rattrapé la journée électorale dans le plus grand pays hispanophone du monde, où ont lieu également des élections au niveau local, avec l'assassinat d'un candidat à un mandat dans l'Etat du Michoacan (ouest).
Israel Delgado, 35 ans, a été tué par balle dans la nuit de samedi à dimanche. Avant lui, au moins 25 candidats avaient été assassinés, d'après le comptage de l'AFP.
De Cancun (sud-est) à Mexico, les files ont commencé à se former dès l'ouverture des bureaux de vote à 08h00 locales (14h00 GMT pour Mexico).
"Je crois que ça va être historique en terme de participation", affirme Ana Hernandez, 28 ans, politologue, devant un bureau de vote dans la capitale.
Clemencia Hernandez, femme de ménage de 55 ans, s'apprête à voter pour Caudia Sheibaum à Mexico. "Une femme présidente représentera une transformation et espérons qu'elle fasse davantage pour ce pays. Ici la violence contre les femmes est à 100%. Beaucoup de femmes sont soumises par leurs partenaires, qui ne les laissent pas sortir de la maison pour travailler", dit-elle.
"Aucun gouvernement avant ne s'était préoccupé autant des personnes âgées", argumente-t-elle, en référence au président sortant Andres Manuel Lopez Obrador, le mentor politique de Claudia Sheinbaum.
Eunice Carlos, retraitée de 70 ans qui attend de voter dans le quartier résidentiel de Polanco, juge au contraire que M. Lopez Obrador a été "un président très néfaste, en premier lieu parce qu'il nous a divisés". "Mon vote va en faveur de la démocratie avec Xochitl Galvez".
Les électeurs sont également appelés à renouveler le Congrès et le Sénat, à choisir les gouverneurs dans neuf des 32 Etats et à désigner des députés locaux et maires.
En tout, 20.000 postes sont à pourvoir lors de ces élections à un tour. Les premières tendances pour la présidentielle seront connues quelques heures après la fermeture des bureaux de vote sur la côte Pacifique.
"C'est le temps des femmes et de la transformation", a proclamé Claudia Sheinbaum, portée par la popularité du président sortant, lors de son dernier rassemblement de campagne mercredi à Mexico.
"Cela veut dire vivre sans peur et être libres de violences", a ajouté Mme Sheinbaum. Chaque jour, une moyenne de neuf à dix femmes sont assassinées au Mexique, selon l'ONU Femmes.
D'origine modeste, née d'un père indigène, cheffe d'entreprise, sa rivale Xochitl Galvez a dénoncé l'échec de la politique de sécurité du gouvernement sortant, parlant de "186.000 personnes assassinées et 50.000 personnes disparues" depuis 2018.
Violence des cartels
La lutte contre la violence des cartels, des gangs et des bandes sera le premier défi de la future présidente, d'après Michael Shifter, chercheur au centre d'analyse Dialogo Interamericano, dont le siège est à Washington.
Au total, quelque 450.000 personnes ont été assassinées depuis 2006, quand l'ex-président Felipe Calderon a envoyé l'armée contre les cartels.
Mme Sheinbaum a promis de poursuivre la politique actuelle, qui consiste à s'attaquer aux causes de la violence plutôt que le tout-répressif, tout en luttant contre "l'impunité". Mme Galvez a déclaré qu'elle voulait en finir avec les "accolades" aux cartels.
Elections au Mexique: les clés de la victoire de Claudia Sheinbaum
Une personnalité solide, sérieuse et crédible, portée par le charisme du président sortant et l'ancrage de son parti, face à l'opposition discréditée: Claudia Sheinbaum, élue dimanche première femme présidente dans l'histoire du Mexique, a bénéficié d'un alignement des planètes dans sa marche vers les sommets de l'Etat.
La nouvelle figure de la gauche en Amérique latine est une scientifique de 61 ans, titulaire d'un doctorat en ingénierie énergétique, membre dans les années 2000 d'un panel du GIEC sur l'atténuation du changement climatique.
La scientifique mexicaine est loin d'être novice en politique. Elue après un an de campagne, elle avait dès septembre remporté haut la main une sorte de primaire à gauche face à cinq hommes.
La présidente, qui prendra ses fonctions le 1er octobre, a été maire de Mexico (2018-2023), où elle se félicite d'avoir réduit la criminalité dans la mégapole de neuf millions d'habitants.
Elle avait été auparavant maire de district (2015-18) et responsable de l'environnement (2000-2006).
La victoire de Claudia Sheinbaum est due "à son engagement en faveur de sujets populaires comme l'énergie renouvelable et l'éducation, et à son expérience à la tête du gouvernement de la ville de Mexico", commente Michael Shifter, chercheur au centre d'analyse Diálogo Interamericano.
Le journaliste et universitaire Carlos Bravo Regidor met aussi en avant sa fidélité au président sortant Andres Manuel Lopez Obrador, qui termine son mandat avec 66% d'opinions favorables sur son action.
"C'est ce qu'elle appelle +construire le second étage de la transformation+. C'était un message clair et facile à comprendre, radical, qui à force de répétition et de discipline a réussi à pénétrer (dans les esprits)", d'après l'expert.